Il faut parcourir 200 km et plus pour encaisser un chèque CCP à El-Affroun. Ils viennent des wilayas de Aïn Defla, Tipasa, Médéa et des villes voisines d'El-Affroun. Engoncés dans leurs kachabias en poil de chameau, la tête ceinte d'un turban à la couleur passée, enroulé négligemment – sans doute, à la hâte –, les traits tirés, ils sont très nombreux, chaque matin, dès 7h (voire plus tôt) à attendre l'ouverture du bureau de poste d'El-Affroun. Fourgons et voitures particulières encombrent déjà à cette heure matinale, les abords de l'édifice. Ils viennent de Tissemsilt, Theniet El-Had, Tiaret, parfois même de la wilaya de Relizane pour les besoins d'un retrait d'argent dont la somme dépasse rarement les 20 000 DA. Jeunes gens, personnes âgées, vieillards courbés sur leur canne, handicapés, étalent leur détresse au grand jour. Ils paient 600 DA leur place en taxi clandestin pour venir de villes, villages ou localités aussi peu connus que Mokhtaria, Oued El Djemaâ, Bordj Emir Khaled, Sidi Boutouchent, Ben Allel ou Amrouna pour retirer, au bureau de poste d'El-Affroun, ce qui représente le montant de leur pension mensuelle : souvent 7 000 DA, pour certains, parfois moins, pour d'autres. La raison de ces déplacements éprouvants qui prennent les contours d'une injustice, vers la ville d'El-Affroun où, de façon générale, il y a toujours une disponibilité de fonds est que “dans nos bureaux de poste, il n'y a jamais d'argent… ou plutôt, un jour par mois”, nous confient deux jeunes étrangers à la région. À cette population venue de 200, 300, voire 400 km pour encaisser un chèque, s'ajoutent des usagers des wilayas de Aïn Defla, Tipasa, Médéa et des villes voisines d'El-Affroun. C'est ainsi que ce 20 (“jour des retraités”) du mois courant, nous avons été surpris par le nombre effarant de personnes âgées formant, avant 8h, une masse compacte debout, devant et autour de l'édifice d'Algérie Poste et évaluée par un jeune comptable à près de 400 âmes. Dix minutes après l'ouverture, à 8h, du bureau de poste, deux facteurs et un guichetier avaient déjà organisé cinq longues files d'attente se prolongeant sur les marches d'escalier et se terminant en virgule sur le trottoir. Sous l'effet de la tension, la fatigue, la chaleur ambiante et l'atmosphère viciée, les nerfs à fleur de peau, il arrive que certains usagers malmènent les deux guichetiers en charge des opérations de retrait. Des propos peu courtois, des insultes même, fusent parfois, en direction des employés soumis à un stress permanent et tous visiblement submergés. Celui que l'on continue d'appeler “receveur de la poste”, 60 ans, est à cheval entre le guichet, pour prêter main-forte aux agents de visu, et son bureau, semble, lui aussi, sous pression. À peine a-t-il rejoint son bureau, un paquet de chèques à la main, que des coups répétés sont portés bruyamment à sa porte qui refusera de s'ouvrir pour ce qui ressemble à… un passe-droit. Quelques minutes après, ce seront deux personnes qui frapperont à leur tour espérant vainement un traitement de faveur. Une atmosphère étouffante alourdie par un brouhaha de fond et, sans doute, des odeurs indisposantes, fait sortir de la queue, deux femmes au bord du malaise. Un retraité d'El-Affroun, naguère à la tête d'un poste valorisant et qui fait, aujourd'hui, piètre figure, essaie de se frayer un chemin pour sortir au grand air, en soufflant : “La misère !” Le spectacle désolant qu'affiche pratiquement, chaque jour, le bureau de poste d'El-Affroun – spacieux, pourtant – est le reflet de l'épreuve quotidienne endurée, à la fois par les usagers et le personnel. Le manque d'effectifs pénalise les uns et les autres. Quant au manque de fonds qui fait déplacer aux aurores (certains attendent d'arriver à El-Affroun pour accomplir la prière d'el-fedjr) des populations sur d'aussi longues distances, le préjudice est inqualifiable.