On fait, dans cet espace, surtout de l'électroménager, de l'outillage électrique, des petits équipements industriels, de la quincaillerie destinée à la plomberie sanitaire. Pas de magasins de vente de portables, ni de matériels informatiques visibles. Une véritable division des tâches s'est accomplie au fil du temps : le mobile, c'est Belfort, la faïence et autres équipements sanitaires, les groupes électrogènes, les ordinateurs, c'est la RN24, entre les Pins-Maritimes et Bordj el-Kiffan, les vêtements c'est le D15 à El-Harrach, la pièce détachée automobile, c'est Tadjenant, et pour le tout, c'est Souk Dubaï, à El-Eulma, ou El-Djorf, près de Bab-ezzouar. Dès 10h30 au marché d'El-Hamiz, une foule vaque à ses achats, malgré l'état calamiteux des trottoirs et de la chaussée, malgré la circulation assez intense de voitures légères, de pick-up et de camions. Le premier magasin visité, bien achalandé expose des téléviseurs plasma de montage local et d'autres produits électroménagers. On se renseigne s'il est possible d'acquérir des produits en gros. C'est oui, on peut. Avec ou sans facture ? On nous parle d'une facture “pour la route”, ou “un bon pour”, “à moins que vous ne vouliez payer 17% de TVA ?” On répond qu'il n'est pas question qu'on nous saisisse la marchandise dans un barrage de la gendarmerie, mais qu'on souhaite obtenir une réduction sur la facture. On finit par nous donner un prénom et une vague direction, vers l'Ouest. “Allez par-là, demandez Kamel, lui pourra vous vendre de la marchandise avec facture et tout”. On se dirige vers la direction indiquée et on entre dans un magasin d'électroménager. “Vous vendez en détail seulement ou bien vous faites le gros ?” - Je fais les deux. Vous avez droit à une ristourne à partir de 5 unités. TV, frigos, plaque chauffantes, chauffages, etc. Le magasin à l'air bien équipé : on y voit des robots Moulinex (mais comment savoir s'il s'agit de vrais Moulinex ?), des machines destinées à plusieurs fonctions : robots, viande hachée, expresso électrique qui coûte plus de 15 000 Da, etc. - Et pour la facture ? - Vous aurez une facture, bien sûr ! Je peux même vous faire une facture pro forma, mais il faudra compter 17% de TVA qui ne pourront pas être couverts par la ristourne. Dès que vous serez fixé sur la marchandise, revenez nous voir. Magasin suivant, articles de plomberie sanitaire. On demande notre bonne vieille robinetterie nationale BCR. Il n'y en a pas, mais “vous avez en revanche, du matériel turc, de marque GMS”. Un matériel qui a l'air impeccable, mais allez savoir, avec toute la contrefaçon qui inonde le marché national ! Comme s'il lit en nous, le vendeur affirme : “non, ce n'est pas de la camelote chinoise” et il nous montre la tuyauterie en plastique pour eau froide, avec l'outillage pour filetage de tuyaux de trois diamètres différents (la filière coûte 3 100 Da, prix de gros) et les pièces qui vont avec, de marque Tigre. On nous montre ensuite la tuyauterie pour eau chaude, provenant du lointain Brésil. “C'est américain, eux aussi délocalisent à cause de la main-d'œuvre”, explique-t-il. On peut avoir une facture pour nos achats ? “Bien entendu, mais vous avez 17% de TVA à payer en sus.” À chaque fois que la facturation est évoquée, on nous rappelle que c'est plus cher de 17%, ce qui équivaut au taux de TVA ! Autre magasin qui vend de tout : tondeuses à gazon, compresseurs, tronçonneuse à bois, etc. Les compresseurs d'origine européenne, selon le vendeur, qui montre le symbole UE et les fameuses étoiles sur autocollant. “N'importe qui peut en coller non ?” Le vendeur assure que la marchandise provient d'Europe, principalement d'Italie. Des compresseurs, il y en a de plusieurs puissances. “C'est pour quel usage ?” demande le vendeur. C'est pour une station de lavage-graissage, et vulcanisation. “C'est bon. En voici un qui fait 3 Cv, il coûte 31 000 Da, l'autre est plus puissant il vous reviendra à 41 000 DA, mais ils valent le coup tous les deux, c'est du matériel importé”. “Et la tronçonneuse de bûcheron, c'est combien ?” “Elle coûte 40 000 Da.” Y a-t-il des perceuses à colonne ? “On n'en a plus, mais nous en avons commandé d'Italie, une grande marque à 35 000 Da.” Il y a du matériel de menuiserie, des scies circulaires montées sur cadre fixe, des groupes électrogènes et tout un fouillis d'outillages électriques, dans ce magasin. Les prix sont fixés sur les équipements grâce à des étiquettes adhésives. “Obligés ! dit le vendeur : les services des impôts, s'ils trouvent qu'il manque une étiquette et le prix inscrit dessus, pour chaque article, ce sont 5 000 Da d'amende à chaque fois, et pour chaque produit !... Je suis ici depuis 1992 et le quartier n'a pas changé : les impôts prennent des tas de fric et c'est toujours Dar el-Beïda qui en bénéficie. Ici, nous sommes contraints d'acheter les décombres arrachés aux routes qu'on répare pour combler les trous et nids-de-poule des rues. En été, c'est la poussière et l'hiver la boue. On dirait que les entreprises qui prennent les marchés de réparation des voies d'accès, font exprès de creuser les rues, pour qu'elles deviennent impraticables et les abandonnent ainsi. Des gens que je connais ne pouvant plus rentrer chez eux, sans patauger dans la boue, ont dû s'inviter chez leurs parents, en attendant des jours meilleurs !” - On peut payer le matériel acheté en devises ? - “Naturellement !” Ce compresseur à 41 000 Da ne reviendrait qu'à 315 euros, au taux actuel. En plus de la ristourne. On promet de revenir avec la commande dès que notre choix sera fixé. À midi, la petite pluie s'est arrêtée, alors que de plus en plus de gens viennent à El-Hamiz, parfois de très loin, à en croire les matricules des voitures. Pourtant très peu de restaurants ou de cafés : c'est certain que ce qui est rentable ailleurs l'est beaucoup moins ici. Selon les connaisseurs des milliards sont brassés en une seule journée au marché d'El-Hamiz. Mais pour ce qui est de la facturation, on semble peu enthousiaste à s'empresser de payer 17% de TVA. On tente même d'en dissuader les clients potentiels.