Dès le début, l'armée a été acclamée par les foules dressées, au Caire et dans d'autres grandes villes, contre Moubarak. Elle avait refusé de tirer sur la foule, quitte à jouer un double langage. Les militaires sont aussi le pilier du régime, et face à la perspective du chaos, il ne leur restait plus qu'à prendre en main la situation pour essayer de dénouer la crise. Le plan A où Omar Souleïmane, l'ex-patron des services de renseignements et de la police politique devait mener à bon port les promesses d'ouvertures, dernière carte du système Moubarak, à savoir le retour à l'ordre en lâchant du lest, ayant échoué, l'armée a renvoyé son chef, assurant qu'elle garantira la tenue “d'élections présidentielles libres et transparentes à la lumière des amendements constitutionnels décidés”. L'armée, pilier du régime Moubarak se retrouve donc aux premières loges pour la première en ce sens où cette fois-ci, elle n'a pas de chef derrière lequel se cacher, comme en 1952 avec Nasser, puis avec Sadate et en 1981 avec Moubarak. Le déchaînement populaire contre Moubarak ne s'est-il transformé contre Omar Souleimane ? L'armée a, semble-t-il, évité le danger qui planait sur sa tête avant l'éviction de Moubarak, de se scinder, au sujet du soutien au peuple. “Le peuple et l'armée, main dans la main”, “Le peuple et l'armée ne font qu'un!”, les Egyptiens veulent croire que l'accueil triomphal à leurs soldats quand ils se sont déployés dans les rues du Caire, le soir du 28 janvier, après des heures d'affrontements d'une rare violence entre la police et les manifestants, est vrai et que leur pays ne sombrera pas dans l'inconnu, le dictateur déchu. Normal ! L'armée égyptienne a toujours été au cœur du système et a toujours fait preuve de la plus grande loyauté envers ses trois chefs depuis la révolution nassérienne. Le régime est bien un régime militaire, même s'il s'est toujours affublé de vêtements et d'institutions civiles. Tous les chefs d'Etat en sont issus depuis le putsch des “Officiers libres”, qui a renversé la monarchie en 1952 et porté au pouvoir Abdel Gamal Nasser qui en était un des colonels. Sadate, son dauphin, un maréchal et, Moubarak, que celui-ci avait choisi pour le seconder, était le commandant en chef des forces aériennes. Le dernier remaniement du gouvernement de Moubarak a confirmé cette primauté. Ex-commandant en chef de l'armée de l'air et alors ministre de l'Aviation civile, Ahmed Chafik était nommé au poste de Premier ministre. Omar Souleïmane, le chef des moukhabarat, les tout-puissants services de renseignements, lui aussi un ex-gradé, était promu vice-président, dauphin dans les mœurs politiques du pouvoir. C'est également un général, Mahmoud Wagdy, qui devenait ministre de l'Intérieur. L'armée fait figure, aux yeux de la population lambda, d'institution la plus intègre du pays ! Toujours auréolée, qui plus est, du prestige des guerres livrées contre le voisin israélien ! Sa propagande est infaillible au point où les Egyptiens, hormis les militants et sympathisants de l'opposition, lui font aussi crédit pour sa neutralité politique supposée. Sur la place Tahrir, devenue l'épicentre de la révolution du Nil, l'armée était omniprésente dès le 25 janvier, bien qu'elle avait laissé les nervis de Moubarak, les baltaguia, prendre d'assaut les manifestants pacifiques, les soldats, des appelés, faut-il le préciser, n'ont pas été pris à partie par les manifestants exigeant le départ du président. Cœur, sinon liée intiment au régime, l'institution militaire a profité de cette consanguinité pour mettre sous sa coupe des pans de l'économie nationale. Appelée à la rescousse pour mettre fin à la pénurie, l'armée avait ouvert ses propres boulangeries à la population, accentuant ainsi son prestige. Avec la révolution du Nil, l'armée restera-t-elle la seule à disposer d'un droit de veto sur la succession ? Reste que la rue égyptienne n'est plus la même depuis le 11 février.