La révolte des populations musulmanes gagne les monarchies du Golfe de laquelle leurs rois et princes pensaient être immunisés, ne serait-ce que pour les rentes qu'ils distribuent à leurs sujets. Le roi de Bahreïn en sait quelque chose, lui qui a fait tirer sur ses manifestants. El le syndicat des couronnes de la région n'y pourra pas grand-chose. C'est un mouvement qui a déferlé sur tout le monde arabe, voire toutes les terres musulmanes. En Iran, la contestation s'est de nouveau réveillée pour réclamer les libertés et la démocratie. Le Golfe arabo-persique est sur un volcan. Les alliés régionaux de Bahreïn ont apporté jeudi leur soutien au petit royaume de Bahreïn secoué par des manifestations antigouvernementales réclamant la fin de la dictature royale et l'instauration d'une principauté constitutionnelle. Le syndicat des monarchies et principautés du Golfe est allé jusqu'à justifier la répression féroce par la police et l'armée bahreïnies par “la nécessité d'empêcher un conflit confessionnel”. L'armée bahreïnie s'est déployée en force jeudi à Manama, se disant déterminée à rétablir l'ordre après la répression par la police d'une manifestation anti-régime qui a coûté la vie à au moins trois manifestants et blessé près de 200. Le rassemblement sur la place de la Perle, rebaptisée par les émeutiers place Tahrir, en hommage à la révolution du Nil, à Manama, était animé par des manifestants chiites, majoritaires dans le pays gouverné par une dynastie sunnite. La population réclame des mesures politiques et sociales, tandis que le chef de l'opposition demande la démission du gouvernement bahreïni. Car le Premier ministre gouverne le pays depuis son indépendance en 1971. Le Wefak, principal groupe d'opposition chiite, a annoncé que tous ses membres allaient quitter le Parlement où ses 18 députés font face à l'hostilité de la vingtaine de députés que le régime a pu se garantir. “Nous ne voulons pas instaurer un Etat religieux. Nous souhaitons une démocratie civile, dans laquelle le peuple est à la source du pouvoir”, a déclaré le secrétaire général du parti lors d'une conférence de presse. Dans les années 1990, le Bahreïn avait déjà été le théâtre de troubles. L'adoption en 2002 d'une nouvelle Constitution et l'organisation d'élections législatives avaient contribué à ramener le calme, mais l'opposition juge désormais ces réformes insuffisantes. Pour toute concession, le prince de l'archipel, Hamad ben Issa al Khalifa, a promis une enquête pour faire la lumière sur les violences ! Puis, il a fait appel à l'armée, laquelle, pour la circonstance a sorti ses chars et hélicoptères américains de leur carton. “On avait l'impression d'une offensive contre l'ennemi”, ont rapporté des manifestants en train de dormir tranquillement sur la placette investie. Le Bahreïn, voisin de l'Arabie saoudite, est en face de l'Iran. Les pays du CCG (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Oman, Qatar, Koweït et Bahreïn) ont affirmé prendre eux-mêmes en main propre leur propre sécurité, et ne pas accepter les ingérences étrangères ! Cette attitude laisse perplexe quand on sait que le gros de l'armada militaire américaine à l'étranger est dans la région. Bahreïn est le porte-avions du Pentagone (deux porte-avions de l'Oncle Sam y mouillent tandis qu'un troisième stationne en mer d'Oman), l'Arabie saoudite, sa principale base aérienne, le Koweït, son complexe logistique pour le Moyen et Proche-Orient ainsi que pour l'Afghanistan, le Qatar, son autre base spécialisée dans les télécommunications et téléguidages. Paris a récemment inauguré une base militaire permanente dans la capitale des Emirats arabes unis, à Abu Dhabi. La question est de savoir si Washington va laisser la révolution déferler sur le cœur d'une région névralgique pour ses intérêts. D'autant que dans la région, les manifestations sont parties de communautés chiites importantes en nombre mais considérées par les monarchies comme des citoyens de seconde classe. De quoi alimenter l'animosité de la République islamique d'Iran voisine qui ne cesse de multiplier les démonstrations de force. Prévenant l'explosion de la poudrière, les Etats-Unis ont encouragé leurs alliés à des solutions permettant d'écouler leur or noir en contournant le Golfe. Depuis 2006, le sultan Kabous d'Oman fait construire à Dugm un port gigantesque doté d'un complexe pétrochimique qui permettra de commercer avec l'Inde. Pour leur part, les Emirats arabes unis édifient un nouvel oléoduc de 400 kilomètres menant jusqu'à al-Fujaïrah, au bord de la mer d'Oman, où un nouveau port très important devrait faciliter l'exportation d'une partie de la production pétrolière d'Abu Dhabi où s'est rendu, pour la première fois, en janvier, un ministre israélien, Uzi Landau, chargé des Infrastructures nationales, alors même que l'émirat n'entretient pas de relations diplomatiques avec l'Etat hébreu. C'est que la protection des frontières d'Abu Dhabi et d'une quinzaine de sites pétroliers de cet émirat doit beaucoup à la technologie israélienne et à la société Asia Global Technologies, dirigée par un Israélien vivant aux Etats-Unis et particulièrement efficace sur le marché mondial de la sécurité. De même, Abu Dhabi n'a fait aucune difficulté pour se procurer, auprès de la société israélienne Radom Aviation Systems, deux avions d'alerte équipés de stations d'écoute destinées à prendre connaissance des communications dans les eaux territoriales du Golfe. Les monarchies du CCG, qui vivent à leur peur des intrigues de Téhéran, estiment avoir trouvé la parade contre la contagion révolutionnaire partie de Tunis et du Caire. À voir, car même si des chiites du Golfe arabique ne sont pas insensibles aux sirènes de Téhéran, la République islamique de Khamenei est elle aussi travaillée par la contestation. Les manifestations rassemblent depuis lundi des milliers de personnes, au point que les ayatollahs ont prévu une contre-manifestation hier vendredi, pour exprimer “la haine, le dégoût et la colère contre les chefs de la sédition”.