Les consultations se multiplient entre le Caire et certaines capitales arabes pour tenir un «sommet» dans les meilleurs délais. A voir l'agitation qui s'est emparée du Caire, depuis le report, sine die, du Sommet arabe de Tunis, tout donne lieu de penser que certains dirigeants arabes se sont lancés dans une véritable course contre la montre dans l'objectif affirmé de tenir un sommet arabe «le plus rapidement possible». Certes ! Mais pourquoi faire? Car, il serait tout le moins étonnant que les divergences «profondes», apparues à Tunis soient aussi rapidement résorbées. Cela d'autant plus que, selon les échos en provenance du Caire, la priorité pour l'Egypte et l'Arabie Saoudite, notamment, n'est pas tellement de rapprocher les vues arabes que de tenir ce sommet. Au Caire de préférence, ailleurs si nécessaire, mais ce sommet doit avoir lieu, à une date la plus rapprochée possible, insistent de concert Hosni Moubarak, le raïs égyptien, et Abdallah Ben Abadelaziz, le prince héritier saoudien. Ainsi, les causes mêmes qui ont motivé le report et incité le président tunisien à prendre la grave responsabilité, - une première dans le monde arabe -, de suspendre un sommet arabe à la veille de sa tenue, sont évacuées des débats en cours. Que ces raisons soient induites par la modernisation du monde arabe, - autrement dit les fameuses réformes envisagées qui n'emportent pas l'adhésion de nombreux pays arabes -, ou par le projet américain dit du «Grand Moyen-Orient», - qui suscite une levée de boucliers d'une partie des dirigeants arabes, alors même que personne n'en connaît encore les principes - la moindre des choses était d'en débattre. Il fallait, en tout état de cause, identifier ce qui, selon certains, est négatif dans les réformes en projet et ce qui pourrait se révéler positif pour le monde arabe. Le débat est ainsi dévié pour se concentrer sur la seule nécessité d'organiser un autre sommet Ainsi, d'aucuns semblent avoir, d'autorité, semble-t-il, donné mandat à M. Moubarak d'essayer d'appeler à un nouveau sommet arabe. Ainsi, chefs de la diplomatie arabe, rois et émirs se succèdent depuis lundi à Charm El Cheikh où Hosni Moubarak reçoit invités et visiteurs. Les tout premiers à avoir rallié la station balnéaire égyptienne étaient le prince héritier saoudien, Abdallah Ben Abdelaziz et le roi de Bahreïn, Hamad Ben Issa Al Khalifa, les deux absents de marque à Tunis, venus appuyer les démarches du raïs égyptien. Le fait curieux dans tout cela fait que le prince héritier saoudien et le roi bahreïni ont été les premiers à avoir donné le signal de la débandade en annonçant leur absence au Sommet de Tunis, mettant ainsi en doute sa tenue avant même son ouverture. Plus curieux encore est l'attitude du roi des Bahreïn, qui assure la présidence en titre du sommet arabe pour l'avoir accueilli l'an dernier... à Charm El Cheikh en Egypte. Bahreïn est, rappelle-t-on, avec le Qatar, l'une des bases stratégiques des Etats-Unis dans le Golfe, à partir desquelles l'armée américaine lança en mars dernier la guerre contre le régime de Saddam Hussein. Ces monarchies du Golfe pourtant, outre l'Egypte, qui ne peuvent rien refuser aux Etats-Unis, qui sont installés chez eux à domicile, ont levé l'étendard de la révolte contre le projet américain de «Grand Moyen-Orient». A bien y regarder ce sont encore les pouvoirs les plus despotiques du monde arabe qui s'opposent au projet américain, dont, à l'évidence, il reste à en connaître les tenants et aboutissants et le bien fondé. En fait, les pouvoirs arabes qui refusent de procéder par eux-mêmes à une refonte des systèmes autoritaires qui gouvernent le monde arabe, se hérissent et ont des réactions épidermiques dès qu'il est question de moderniser des régimes qui ont fait leur temps. Aussi, le report du sommet arabe de Tunis, qui a mis à nu les divergences entre les dirigeants arabes, est-il une opportunité à saisir par les Arabes de se remettre en cause et de revoir en profondeur leurs systèmes de gouvernance aujourd'hui obsolètes et ne répondant ni aux normes usitées, ni aux intérêts des populations arabes d'une manière générale, ni encore à ceux, particulier, du monde arabe dans un environnement international où les référents essentiels sont aujourd'hui les droits de l'homme, la bonne gouvernance, les libertés collectives et individuelles, sous toutes leurs formes, de même que l'égalité entre les femmes et les hommes. Toutes choses qui, en fait, demeurent théoriques dans un monde arabe encore plongé dans sa phase moyenâgeuse et ou les hommes forts et/ou providentiels tiennent plus que jamais à leurs prérogatives. De fait, c'est encore ces derniers qui ont été les premiers à critiquer le projet américain, pour le Moyen-Orient, dont il reste encore à en connaître la teneur, laquelle ne sera dévoilée qu'en juin prochain à Washington lors du Sommet du G8 (groupe des pays les plus riches : les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon, la France, le Canada, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie). De fait, des envoyés américains, dont le secrétaire d'Etat adjoint chargé du Proche-Orient, Williams Burns, seront dans cette région en début de semaine prochaine et se rendront, - outre en Israël - , dans au moins deux capitales arabes dont les noms n'ont pas été spécifiés, pour, sans doute, tâter le pouls de leurs dirigeants tant sur le processus de paix, actuellement en panne, que sur le projet américain pour la région du Moyen-Orient. En réalité, les consensus de façade affichés jusqu'ici par les dirigeants arabes ne peuvent plus cacher l'amère réalité d'un monde arabe, tenu d'une poigne de fer par ses différentes dictatures, qui est resté en marge du développement international, alors même que la région arabe recèle 60% des réserves mondiales de pétrole prouvées.