Si le roman latino-américain représenté, entre autres, par Gabriel Garcia Marquez, Carlos Fuentes, Jorge Borges et Mario Vargas Llosa… a hautement illustré le portrait du dictateur américain, le roman arabe, quant à lui, n'a pas réussi à retracer les métamorphoses de nos dictateurs. Malgré que les peuples arabes, à l'image de ceux de l'Amérique latine, aient goûté de toutes les couleurs de la répression, notre littérature romanesque n'a pas produit sa version originale de son dictateur. La sauce locale amère. Ces deux peuples ont vécu, et sur un pied d'égalité, les haines des atrocités des juntes militaires, les putschs, les renversements, l'absence de la vie civile, l'état d'urgence, l'état de siège. Les peuples des deux mondes n'ont jamais accédé à une vraie vie politique où la liberté d'opinion est respectée. La société civile est absente ou figurante. Les intellectuels des deux mondes ne sont jamais parvenus à vivre une liberté d'expression ou d'opinion. Mais, malgré cette similitude d'épreuves historiques dures, les créateurs des pays d'Amérique latine ont pu produire un courage littéraire. Une résistance par la littérature. Une littérature résistante et de la résistance. Comment explique-t-on l'absence du portrait du dictateur dans notre littérature romanesque arabe ? Certes, notre histoire, et depuis un peu plus d'un demi-siècle, a connu au moins quatre images référentielles des dictateurs locaux : a- Dictateur en costume de clown (débile et spectaculaire), représenté par Moammar Gueddafi. b- Dictateur en gants de soie (sanguinaire civilisationnel), représenté par le roi Hassan 2. c- Dictateur en discours de libérateur obscurci (révolutionniste-sectaire), représenté par Hafez Al Assad. d- Dictateur en bédouin (arrogance tribale- moyenâgeux), représenté par Saddam Hussein. Peut-être, par peur, manque de liberté d'expression, absence du courage littéraire, déficience d'intellectuels sur la scène politique, ils sont rares nos écrivains et nos écrits arabes qui ont réussi à poinçonner le portrait de leur dictateur local. Une édition identique et authentique ! Parmi ces rares écrits, je viens de lire Al Aâdham (le plus grand), un nouveau roman d'Ibrahim Saâdi. Un roman écrit en arabe, paru en 2010 aux éditions Al Amal, une petite maison d'édition installée à Tizi Ouzou. Dans un texte de plus de 360 pages, Ibrahim Saâdi et avec beaucoup de précision et d'attention dessine le portrait d'un dictateur arabe appelé Al Manara. Pendant quarante ans, le dictateur d'Al Manara a gouverné son peuple avec une main de fer. Terreur et sang. Dans Al Aâdham, malgré les atrocités, le sang, les tueries, les prisons, les viols, nous nous trouvons devant un style qui épuise dans l'humoristique noir. L'humour, dans l'art comme dans la vie, est une force ! Le dictateur d'Al Manara est également imaginaire. Mais même si les traits du dictateur décrits dans le roman relèvent de l'imagination littéraire, l'écrivain se ressource des caractéristiques communes des dictateurs arabes. Le roman d'Ibrahim Saâdi est loin d'être un texte politique. Il est écrit, fait dans une structure narrative et style poétique. En visionnaire littéraire, Ibrahim Saâdi, dans ce roman Al Aâdham, il a prophétisé les soulèvements des peuples arabes qui réclament, depuis quelques semaines, le départ des dictateurs et demandent le changement. Nous rappelons que Marcel Bois avait déjà traduit deux romans d'Ibrahim Saâdi : les Fatwas du temps de la mort et Confessions au retour des ténèbres. À l'heure de ces bouleversements populaires historiques et angulaires pleins de rêves et d'espoirs qui secouent le monde arabe de l'est à l'ouest, du sud au nord, peut-on dire que c'est aussi l'heure d'une nouvelle prise de conscience chez les écrivains ? L'annonce d'une révolution esthétique dans le la littérature arabe ? La naissance d'une nouvelle écriture belle et courageuse qui renoue avec les valeurs de liberté et de justice ? A. Z. [email protected]