Confronté à une révolte populaire d'une intensité inédite depuis le coup d'Etat qui l'a mené au pouvoir en 1969, le colonel Kadhafi s'est adressé au pays mardi dans un discours où il a fait étalage de sa folie meurtrière et de sa volonté d'exterminer son peuple, si cela était nécessaire, pour se maintenir. Alors même que le pays est à feu et à sang, et que tous les moyens de répression ont été utilisés, y compris l'aviation, l'armement lourd et l'intervention de mercenaires étrangers, au moment où le ministère de l'Intérieur lui-même reconnaît le bilan de 300 morts dont 189 civils, le dictateur a menacé d'“utiliser la force”, comme si, jusque-là, ses services avaient fait dans la dentelle. En appelant ses partisans à descendre dans la rue et à donner la chasse aux “traîtres” qui osent remettre en cause son omnipotence, il a sans doute utilisé la dernière carte qui lui restait en main, espérant se maintenir dans le chaos d'une guerre civile. Les observateurs ne s'y sont pas trompés, car le mouvement d'exfiltration des étrangers s'est accéléré depuis l'intervention du dictateur. Tous les pays comptant des ressortissants en Libye, y compris les plus discrets face aux évènements, organisent leur rapatriement par tous les moyens possibles. Par air, par terre et par mer, les étrangers fuient massivement la Libye. Pendant ce temps, les condamnations pleuvent de partout. L'ONU, par la voix de son secrétaire général, a interpellé le leader libyen dans des termes très fermes, lui intimant de mettre fin aux exactions de ses forces de sécurité sur les manifestants. Les Etats-Unis et l'Europe, exception faite de l'Italie de Berlusconi dont les intérêts avec le régime libyen sont énormes, sont sur la même longueur d'onde et usent du même ton. Un pays comme le Pérou a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec la Libye et la Ligue arabe est allée plus loin en suspendant tout simplement la Libye. La férocité de la répression a suscité un grand émoi à travers le monde, et le dernier discours de Kadhafi a fini par convaincre les plus sceptiques qu'une tragédie sanglante se déroule dans le pays et que le guide est prêt à décimer la population. L'isolement du dictateur est presque total, et l'idée de son inculpation par le Tribunal pénal international est de plus en plus évoquée. À l'intérieur du pays, les choses ne vont guère mieux pour le doyen des dictateurs. Des hauts gradés et des unités entières de l'armée se sont démarqués du régime et ont affiché leur sympathie pour le mouvement de révolte, tout en demandant le départ pur et simple de Kadhafi et de son clan. Deux ministres importants, celui de la Justice, puis celui de l'Intérieur, ont démissionné après avoir dénoncé l'ampleur de la répression et sa férocité. Plusieurs ambassadeurs, à commencer par la totalité de la mission libyenne à l'ONU, se sont également démarqués du régime après s'être dit révoltés par le comportement sanguinaire du guide libyen. Plusieurs chefs religieux et de tribus ont demandé le départ du dictateur, et les soutiens de Kadhafi semblent désormais se réduire à une clientèle qui a largement bénéficié de la manne pétrolière. Il n'en demeure pas moins que la capacité de nuisance de ses derniers soutiens est incommensurable, leurs moyens considérables et leur volonté très grande de tenter la sauvegarde de leurs énormes intérêts jusqu'au bout. Le dictateur a définitivement franchi le Rubicon. Sa chute est inévitable, même s'il est décidé à user de tous les subterfuges, y compris celui qui consisterait à démembrer la Libye. Il appartient à la communauté internationale de ne pas se contenter du rôle d'observateur impuissant. Plus vite tombera le tyran, mieux se porteront les Libyens auxquels incombera la reconstruction de leur pays.