Depuis que le gouvernement a annoncé son intention de lui donner un ancrage juridique, la vente informelle occupe plus que jamais les trottoirs de la capitale. Un simple tour dans les quartiers populaires d'Alger montre à quel point le phénomène du “trabendo” a pris de l'ampleur. Des trois-Horloges, à Bab El-Oued, au quartier populaire de Bachdjarah, en passant par les rues du quartier Meissonnier, le marché informel est en pleine expansion. Mais ce retour fracassant ne s'est pas fait dans la sérénité. Le nombre des vendeurs à la sauvette s'est multiplié, provoquant des débordements sur les chaussées et des rixes entre les nouveaux et anciens vendeurs qui tentent de protéger leurs espaces. En l'espace de quelques mois, l'Exécutif est passé d'une politique coercitive visant l'éradication progressive des marchés informels à des mesures portant l'organisation de cette activité. On peut dire que le recul du gouvernement sur sa décision de livrer bataille à l'informel est l'une des principales raisons du retour au calme après les émeutes de janvier dernier. “Ces rumeurs sur le démantèlement immédiat des marchés informels sont sans fondement”, avait expliqué le ministre de l'intérieur et des collectivités locales, Daho Ould Kablia. Quelques jours plus tard, le ministre revient à la charge pour répliquer : “Personnellement, j'ai toujours avancé l'idée qu'on ne peut engager que les batailles qu'on est sûr de gagner. Je pense que la bataille de l'informel doit faire l'objet d'une stratégie du moyen et du long terme.” Aussitôt dit, aussitôt fait. Un programme chapeauté par le ministre de l'intérieur et celui du commerce consacré à ce dossier est décliné. En se défendant, en marge d'une réunion avec les cadres centraux et régionaux, de vouloir légaliser l'activité informelle, le ministre du commerce, Bendada, confirme davantage ce choix. “Il ne s'agira pas de légaliser l'informel mais de le traiter et de l'intégrer à travers plusieurs mesures et facilitations gouvernementales”, dira-t-il. Traiter et intégrer l'activité informelle, ne signifie-t-il pas simplement sa légalisation ? L'homme de la rue a vite fait de décrypter ce message. Ces mesures arrêtées dans le cadre de ce programme se résument, en effet, en l'autorisation des jeunes commerçants à occuper des espaces aménagés même sans registre du commerce, en la délivrance par la commune d'une carte qui peut provisoirement se substituer à ce document et une exemption fiscale temporaire, censée les encourager à intégrer le marché formel. Sur le terrain, c'est tout le contraire qui est en train de se produire. Ce sont, paradoxalement, les pratiques informelles qui s'étendent progressivement au secteur formel : vente sans factures, sans déclaration fiscale, sans garantie, ni service après-vente. D'où l'échec, il y a deux ans, de la tentative gouvernementale d'imposer le paiement par chèques pour tout montant supérieur à 500 000 DA. La paix sociale a un coût que l'Etat est prêt à assumer dans un contexte de contestation qui embrase certains pays arabes et dont l'effet de contagion est redouté en Algérie. Près de 50% de la population active exerce dans l'informel. Cette catégorie de citoyens ne cotise ni au niveau des caisses d'assurance maladie ni au niveau des caisses de retraite. En revanche, elle bénéficie de soins à titre gracieux, au même titre que les salariés qui paient leurs contributions normalement. Seuls les médicaments sont à sa charge. Dans quelques dizaines d'années, l'Etat devra prendre en charge cette population âgée, qui sera sans ressources. Le forum des chefs d'entreprise a affirmé dans une analyse sur le sujet que le secteur informel occupe 1,78 million de personnes, soit presque 22%, pour une population occupée totale de 8,25 millions de personnes. À croire cette organisation, les revenus nets du secteur informel se situeraient entre 300 et 600 milliards de dinars. Plus précisément, 17% de l'ensemble des revenus primaires nets des ménages. Ce montant correspond à 13% du PIB hors hydrocarbures. Le forum estime une perte de recettes budgétaires et de recettes pour les organismes de Sécurité sociale de l'ordre de 42 milliards de dinars pour l'IRG, 22 milliards de dinars pour la TVA et 120 milliards de dinars pour les prélèvements de Sécurité sociale. Les ruelles longeant le marché d'El-Biar ont renoué avec les marchands de téléphones portables d'occasion, de fruits et légumes et de quincaillerie. Les prix du marché informel sont certes attractifs, mais les riverains restent partagés entre l'avantage qu'apporte cette proximité pour faire les courses et son désagrément qui est loin d'être négligeable. Au-delà du bruit, de la saleté, les rues étouffent. Le passage d'une ambulance ou d'un cortège mortuaire relève parfois de l'impossible. Car le marché informel n'est pas seulement une source de revenus dans un pays rongé par le chômage. C'est également un moyen de subvenir aux besoins de la famille avec un budget limité. En effet, selon les données de l'Office national des statistiques, deux tiers des ménages s'approvisionnent du marché informel. Soit 70% des personnes dont le revenu se situe autour de 20 000 DA et moins. Il y a une conjugaison de plusieurs facteurs économiques et sociaux qui font qu'un taux de 44% de la population active a été enregistré en 2009 dans l'informel, hormis le secteur agricole, contre 34% en 2001. Parmi ces facteurs, on peut citer une croissance démographique ayant suscité une tension sur le marché du travail, en ce sens où 10 millions 800 mille personnes étaient âgées entre 15 et 20 ans en 2009, soit 31% de la population algérienne, et bien entendu, le passage d'une économie administrée à une économie de marché.