Ce spécialiste du management aborde, dans cet entretien, les questions de l'efficacité de l'administration, des dépenses publiques ainsi que de la bonne gouvernance. Liberté : L'Algérie dispose d'importantes ressources financières mobilisées massivement dans les programmes d'investissements publics. Les résultats de cette politique sont mitigés. Que suggérez-vous pour réaliser une meilleure allocation des ressources ? Abdelhak Lamiri : Cette question est d'une importance capitale. Dès le début du lancement des fameux plans de relance, j'avais prévu que les résultats seraient dérisoires, malgré les ressources énormes injectées. Pourquoi ? Tout simplement parce que les analyses économiques, mais surtout les expériences des pays gagnants dans la bataille de la mondialisation, montrent que nous avions fait fausse route. Les pays émergents avaient choisi d'investir plus de 80% de leurs ressources dans la mise à niveau de leurs populations, la modernisation de leur management, aussi bien pour les entreprises économiques que les institutions administratives, la création de nouvelles entreprises et filières et, enfin, l'accompagnement des firmes qui réussissent. Les 20% restants avaient servi à développer les infrastructures. Ils avaient injecté 80% des ressources dans l'offre et 20% dans la demande. Nous avons fait le contraire. Cette terrible erreur est due au manque de concertation. Les décideurs auraient dû communiquer avec les patrons, les syndicats, les ONG et les experts avant de prendre de telles décisions. Le résultat est décevant. Nous aurons quelques infrastructures en plus mais pas le développement. J'espère que le processus décisionnel va être amélioré pour le plus grand bien de notre pays. Comment accélérer la mutation de l'administration algérienne vers une institution moins bureaucratique et plus experte ? J'ai développé cet aspect dans de nombreuses conférences. Bien évidemment, il faut qu'il y ait une volonté politique forte pour révolutionner le mode de fonctionnement de nos administrations. Certains pays ont réussi à le faire (Brésil, Chine). Nous devons surtout nous appuyer sur les principes développés par le management administratif moderne. La France est en train de faire évoluer son système en s'appuyant sur des bureaux d'études spécialisés. Les lignes directrices avec lesquelles travaillent ces bureaux sont : plus de décentralisation, de qualification, de responsabilisation, de transparence, d'audits fréquents. Autrement dit, les processus d'allocation des ressources et de fonctionnement doivent évoluer : budgets programmes et gestion par objectif remplacent les anciens modes de contrôle par la dépense. Pour bien fonctionner, un pays a besoin de deux technologies, l'une technique (ordinateurs, équipements de production et autres) et l'autre sociale (management) qui fait fonctionner efficacement et en cohérence les êtres humains entre eux et en interaction avec les inputs (finance et matériel). Vouloir fonctionner avec une seule technologie c'est comme désirer marcher sur un seul pied. Autrement dit, la solution réside en grande partie dans les pratiques managériales. Nous mettons le doigt sur la faiblesse essentielle de notre pays à laquelle les décideurs, malgré leurs discours, accordent peu d'importance. Quelle est l'importance d'une institution cerveau dans le mode de gouvernance du pays actuellement défaillant ? Le rôle d'une institution cerveau est justement d'éclairer les décideurs. Par exemple, en leur disant, si vous voulez réussir les prochains plans, investissez dans le développement qualitatif humain, la modernisation managériale, la création de nouvelles entreprises et l'accompagnement de celles qui réussissent. Vous désirez améliorer l'administration : gérons-la par objectif ; qualifions et motivons ses ressources humaines ; introduisons des processus de certification ; développons la culture des audits et le reste. Vous êtes en train de contempler, d'assainir les entreprises publiques, tous azimuts, c'est une grossière erreur. Nous devons gérer convenablement certaines entreprises publiques stratégiques, mais la vaste majorité devrait être privatisée. Nous avons, en Algérie, des recherches très sérieuses qui prouvent que la vaste majorité des entreprises privatisées au profit des nationaux a connu des améliorations substantielles. Mais on se focalise sur une dizaine de cas où les résultats étaient négatifs et on oublie les centaines de réussites. Le Think-Tank doit clarifier tous ces sujets aux décideurs nationaux et débattre avec tout le monde pour que l'on prenne des décisions éclairées. À la limite, nous aurons besoin d'user de simulateurs mais on n'en est pas encore là. Nous prétendons débattre avec tout le monde mais pas d'avoir raison sur tout.