Au Royaume-Uni, on a applaudi les révolutions dans le monde arabe, cependant, un sentiment d'inquiétude a accompagné cet élan de joie. Mais pour quel avenir ? Tous les scénarios sont mis sur la table. Avec cette extrême prudence que l'on connaît aux British. Ce qui se passe dans le monde arabe est suivi de très près au Royaume-Uni. Le réveil des aspirations démocratiques en Tunisie et en Egypte a surpris tous ceux qui pouvaient encore penser que la rue arabe n'avait pas d'opinion et que les dictatures en place étaient nécessaires. C'est la fin de cette certitude régionale même si des diplomates bien avisés considèrent que les fuites de WikiLeaks étaient tout simplement ce nuage qui précédait la tempête. “WikiLeaks a contribué, d'une certaine façon, à ces révoltes lorsqu'on vient à voir les câbles sur Ben Ali et sa belle-famille Trabelsi. Les Tunisiens le savaient mais lorsque l'information est dite par un ambassadeur américain et qu'elle est publiée, il n'y a plus de raison de se taire”, nous dit le rédacteur en chef du site Web du Guardian, Brian Whitaker, qui nous a reçus au siège du journal au Kings-Square à Londres dans le cadre d'une visite d'une délégation de journalistes algériens invités par le Foreing Office. Alors, les questions s'entassent. L'une après l'autre. S'agit-il de révoltes spontanées ? A-t-on aidé de manière ou d'une autre les mouvements populaires à balayer tel un ouragan des chefs d'Etat que l'on croyait, à tort ou à raison, inamovibles, ou est-ce tout simplement la mondialisation avec tout ce que cela pourrait favoriser comme contact à travers Internet, facebook, Twitter et tous les réseaux sociaux connus jusque-là. Mais maintenant que les choses sont faites et que des processus de transition démocratique sont lancés un peu partout dans le monde arabe excepté en Libye où le pays risque de sombrer dans une ère d'instabilité, il s'agit de savoir quelle sera la nouvelle carte géopolitique du monde arabe ? Car, il s'agit bien d'une nouvelle configuration où l'on peut s'attendre à tout. La question est d'une brûlante actualité, non seulement dans les think-tank londoniens où des diplomates algériens sont conviés pour y donner leur vision sur le monde arabe en général et l'Algérie en particulier, mais aussi dans les médias britanniques. “Des analystes, qui travaillent dans les think-tank britanniques pour déchiffrer, trouver des clés et des projections, ont recours à des expériences similaires qui sont déjà produites dans le passé. Certains parlent des évènements de 1848 en Europe, d'autres assimilent carrément les évènements dans le monde arabe à mai 1968 alors que d'autres pensent que le monde arabe vit ses propres moments de libération comme ce fut le cas de l'Europe de l'Est en 1989. L'intérêt n'est pas exclusivement européen mais il concerne le monde entier”, nous dit de son côté un responsable algérien sous le couvert de l'anonymat. Et d'ajouter concernant l'Algérie : “Pour ce qui nous concerne, vu que le pays est une partie importante du monde arabe, certes, il y a un impact sur nous. Et nous disons qu'il y a beaucoup de similitudes dans ce qui se passe chez nous mais nous disons aussi qu'il y a beaucoup de différences qui sont le fait de l'évolution propre à chaque pays. L'Algérie a une expérience propre et qu'il est impossible que l'on puisse établir un parallèle avec un autre pays de la région. Nous avons vécu Octobre 88, le terrorisme et nous avons énormément appris. En revanche, je ne suis pas personnellement d'accord avec ceux qui disent que nous sommes une île et que rien ne peut nous atteindre”. Dans le monde arabe, “les Britanniques avaient applaudi les manifestations populaires revendiquant les libertés démocratiques mais lorsqu'ils ont vu la chute du président tunisien, un sentiment d'inquiétude est venu remplacer la joie du changement”, réplique le responsable du Guardian, qui explique que cette crainte a été motivée par la peur de voir les islamistes prendre le pouvoir. C'est le cas au Yémen où, d'ailleurs, les Américains s'interrogent, après la chute de Abdullah Saleh, qui luttera contre Al-Qaïda ? Mais à la question de savoir de quoi sera fait le lendemain, personne n'est aujourd'hui en mesure de le dire avec exactitude. Pour des analystes londoniens, la question “est de savoir aujourd'hui pourquoi les régimes arabes ont duré aussi longtemps et maintenant que les changements pointent à l'horizon, beaucoup de paramètres vont changer comme pour les Américains qui ne voyaient le monde arabe que du point de vue de la lutte antiterroriste”. Dans le cas de la Libye, les médias britanniques sont partagés comme c'est le cas du Guardian, qui exprime une position “sceptique” quant à l'instauration de la zone d'exclusion aérienne et les frappes contre les positions du régime du colonel Kadhafi. “Combien de gens auraient pu mourir avant l'intervention et combien vont mourir après”, dit Brian Whitaker. Et d'ajouter : “L'intervention britannique, dans le cadre de la coalition dûment autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies, suscite des inquiétudes et les Anglais sont inquiets parce qu'ils ont eu une expérience similaire en Irak. Depuis la crise au Rwanda, il y a eu ce débat de devoir protéger les peuples en danger ; l'idée devrait être développée dans le droit international et ici les gens disent pourquoi intervenir en Libye et pas au Yémen et au Bahreïn ?” S'il efface d'un trait de plume l'idée que cette intervention a des odeurs de pétrole, il n'en reste pas moins qu'il considère que les frappes aériennes ne vont pas durer contre la Libye contrairement à l'Irak, tout en laissant une marge de manœuvre sur les capacités des soutiens de Kadhafi qui pourraient prolonger l'intervention. Du déjà-vu car on sait très bien quand une guerre commence mais on ne sait jamais quand est-ce qu'elle se termine ! Pour le cas algérien, la presse londonienne n'en fait pas souvent état et Brian Whitaker l'explique par le fait qu'il existe des difficultés de trouver des correspondants dans une région francophone qu'est le Maghreb en plus du fait que l'intérêt du journal est beaucoup plus porté sur l'Egypte. Une idée que l'on retrouve également au sein de certaines structures du Parlement, notamment chez la secrétaire du groupe parlementaire Afrique, Alex O'donogue (All Party Parliamentary Group Africa, APPG) dont l'influence sur la politique étrangère du Royaume-Uni est assez sérieuse. Mais elle ne dispose pas d'une expertise sur l'Afrique du Nord. Ce qui l'intéresse le plus étant l'Afrique subsaharienne avec ce qu'elle charrie comme terrorisme, pauvreté, sida, etc. Une conception qui semble avoir la peau dure, selon un diplomate algérien. “L'Algérie serait alors toujours la chasse gardée de la France”, poursuit le diplomate. Les autorités algériennes ont pourtant combattu cette idée tant à travers la diversification des partenaires qu'à travers des positions politiques. Paris l'a d'ailleurs bien rendu à travers la crise sur l'histoire (loi du 23 février 2005) qui perdure et qui est alimentée par l'extrême-droite à laquelle semble de plus en plus adhérer l'UMP au pouvoir à Paris. En attendant, la coopération algéro-britannique qualifiée “d'excellente” semble poursuivre son petit bonhomme de chemin et tout le monde le reconnaît à Londres. Les Britanniques considèrent l'Algérie comme le pays le plus important d'Afrique du Nord. Une autre réunion du comité mixte est prévue le 5 avril prochain qui va toucher bon nombre de domaines. Si la communauté algérienne a été multipliée par trois cette dernière décennie atteignant les 30 000 résidents, des responsables algériens n'excluent pas une demande d'adhésion au Commonwealth qui réunit 53 pays mais à condition que l'Algérie y trouve ses intérêts. “Il y a un certain intérêt, si le Mozambique et le Rwanda qui n'ont pas fait partie de la couronne ont été admis, pourquoi pas l'Algérie mais cela reste en fonction des intérêts que l'on pourrait acquérir”.