“La dépénalisation de l'acte de gestion est une réforme majeure, à bien des égards plus importante pour l'avenir que la levée de l'état d'urgence.” C'est là une conclusion tirée par l'éminent avocat, Miloud Brahimi, lors de la table ronde organisée hier par le Forum d'El Moudjahid sur “la responsabilité civile et pénale des chefs d'entreprise”. Un sujet longtemps resté tabou mais “blanchi” suite à l'annonce de la mesure dans ce sens du président de la République. De la coupe aux lèvres il y a loin, serait-on forcé de croire. Mieux, le pouvoir a toujours eu recours à la politique “du bouc émissaire” depuis les années 1980 quand on sacrifiait des jeunes cadres sous prétexte d'assainissement. Faut-il, dans ce cas, rappeler l'affaire de l'hydraulique qui a vu la condamnation de plusieurs DG de ce secteur à de sévères peines ? Ou les années 1990 avec, comme le souligne Me Brahimi, la liquidation entre autres de l'entreprise Sider, un fleuron de l'industrie algérienne. Encore “une manifestation du caractère politique du délit économique”, fait-il noter. S'ensuivirent d'autres condamnations et d'autres candidats à la potence tels que les procès de la Cnan et d'Algérie Télécom. Peut-on alors parler de dérive des textes ou de la justice ? Pour Me Rachid Ouali, la pénalisation de l'acte de gestion, n'a pas lieu d'être “car on a condamné des innocents. Un acte de gestion même s'il est négatif, il n'y a pas d'acte délibéré. L'économie de marché suppose avoir les coudées franches”. Cet avocat s'interroge aussi sur la manière dont sont conduites des enquêtes menées par le DRS alors qu'il existe des services compétents au niveau de la DGSN et de la Gendarmerie nationale. De son côté, Me Habib Zerhouni, avocat militant des droits de l'Homme et président de l'Association de la promotion des relations Algérie-Europe, considère que le problème consiste à trouver la manière dont il faut intervenir pour dépénaliser l'acte de gestion. “Ce qui est grave, c'est qu'on constate que les magistrats chargés de mettre en prison les chefs d'entreprise n'ont pas eu la chance de se spécialiser dans le domaine de gestion”, dira l'avocat, avant d'ajouter qu'“il est impératif que le pouvoir judiciaire mette en place au niveau des parquets et tribunaux un staff aussi important que le nombre de magistrats. Il s'agira de spécialistes en finance et comptabilité qu'on formera dans le domaine de la magistrature. On peut, par exemple, désigner des experts comptables ayant force de magistrat”. Cependant, pour cet avocat, dépénaliser l'acte de gestion revient à dire que le gestionnaire des deniers publics agira en toute impunité. Rebondissant sur la question, Me Brahimi lève l'équivoque en distinguant l'acte de gestion de la corruption et du détournement de deniers publics. “Ce qui s'est passé dans le cadre du dossier de l'autoroute Est-Ouest est très clair. Il ne faut pas confondre les choses. On a tellement sacralisé le matériel qu'on est prêt à sacrifier des années de sa vie en prison”, s'indigne-t-il. En conclusion, ce dernier dira qu'en attendant de savoir de quoi l'avenir immédiat sera fait avec l'annonce par le Président de la concrétisation de la dépénalisation de l'acte de gestion, son annonce a, en revanche, été saluée par toutes les forces vives de la nation.