La question est pertinente ne serait-ce que parce que les sanctions politiques, diplomatiques et économiques ont fini par isoler Laurent Gbagbo qui a tout de même tenu cinq mois. Enfin, le voilà fini et passible de la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Il a régné durant dix années, dont la moitié dans l'état d'exception puisqu'il avait empêché la tenue de l'élection présidentielle pour l'accepter en novembre 2010 et refuser son résultat contraire à ses plans. Comme ses pairs autocrates africains, il n'a cessé de faire courir son pays à l'abîme. Quel que soit le sort des armes qui parlaient toujours hier à Abidjan, autour du palais présidentiel, le temps de Gbagbo est cette fois-ci bel et bien terminé. Il avait perdu depuis des mois le soutien de la communauté internationale et celui des Etats africains. Sa mainmise sur les finances de la Côte d'Ivoire et sur ses ressources naturelles (cacao, coton, pétrole) a pris fin et c'est en perdant ses trésors de guerre qu'il n'a pu honorer, fin mars, le paiement de la police et de l'armée. Son rival ADO (Alassane Dramane Ouattara) a joué habilement. Sa reconquête militaire, sans aucun doute soutenue par des Etats africains de la Cédéao, et quelques autres, s'est déroulée sans difficulté, le régime Gbagbo s'effondrant comme un château de cartes. Une chute spectaculaire, comme celle de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte. Comme ses deux premières victoires du printemps arabe, Gbagbo qui fut longtemps un opposant socialiste, avant de s'emparer du pouvoir en 2000 et de le confisquer, restera dans les annales comme celui qui refusa de quitter le pouvoir, sous les fallacieux prétextes du nationalisme africain et de lutte contre le néocolonialisme ! En cela, le Libyen Kadhafi lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Le tyran de Tripoli, méprisant son peuple qu'il traite de “rat” et de “pouilleux”, puise également et à volonté dans le chapitre patriotard, invoquant les croisades et l'impérialisme. Contrairement à Kadhafi, Gbagbo est tombé comme un fruit mûr, sans frappes aérienne. Une par une, ses villes sont tombées. Les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI, qui regroupent l'ex-rébellion nordiste de 2002 et les soldats et gendarmes de l'armée régulière ayant fait défection) d'Ouattara n'ont rencontré aucune résistance et ont convergé très rapidement, en trois jours, sur Abidjan. La Radiotélévision ivoirienne (RTI), est tombée, les combats jusqu'à hier étaient concentrés autour du haut lieu du pouvoir : le palais présidentiel et la résidence du chef de l'Etat. Philippe Mangou, le chef d'état-major de l'armée régulière qui avait soutenu Gbagbo, s'est réfugié à l'ambassade d'Afrique du Sud. Le chef de la gendarmerie s'est rallié à Ouattara, comme plusieurs caciques du régime. L'armée ivoirienne, forte de 50 000 hommes, n'est qu'un tigre de papier et à la fin Gbagbo n'a compté que sur un dixième de ses forces, les éléments du centre de commandement des opérations de sécurité, la compagnie républicaine de sécurité , la brigade antiémeute et la garde républicaine, recrutés dans l'ethnie bétée dans la région natale du président qu'Ouattara a gagné aux élections. Pretoria a également opéré un virement de 180 degrés en gelant les avoirs de Gbagbo que le président Zuma avait auparavant soutenu contre vents et marées. Le pays de Nelson Mandela a, par ailleurs, un comportement singulier avec les dictatures africaines. Sans l'Afrique du Sud, Mugabe aurait été chassé du Zimbabwe. La première leçon de cette déconfiture militaire : les dictateurs et autres autocrates ne sont défendus in fine non pas pour leur cause ou idéologie mais tout simplement pour de l'argent. Leur solde tarie, les soldats de l'armée officielle ivoirienne ne s'est pas battue contre les forces d'ADO équipée de bric et de broc. Les fonctionnaires qui n'ont pas été payé à la fin mars, ont eux aussi tiré leurs freins : vive Ouattara qui avait prédit début janvier ce scénario. Les sanctions internationales ont eu l'effet escompté. Il ne s'agit pas tant du gel des avoirs des barons du régime Gbagbo à l'étranger et de l'interdiction de voyager décidés à leur encontre par l'UE et les Etats-Unis. Ce sont d'abord et avant tout les sanctions africaines qui ont payé : les ministres des Finances de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ne se sont pas laissé conter : ils ont retiré la signature des comptes ivoiriens à Gbagbo qu'ils ont transféré à son vainqueur électoral. 7 petites nations ouest-africaines (Mali, Sénégal, Burkina Faso, Bénin, Togo, Niger et Guinée-Bissau) ont eu le courage de faire respecter le verdict des urnes en Côte d'Ivoire. Tous les Ivoiriens ont été pénalisés. L'économie, qui tournait déjà au ralenti, a marqué un coup d'arrêt, rendant la situation politique de plus en plus intenable. Face aux palabres du panel de médiateurs africains, Ouattara est passé à l'offensive encouragé selon ses proches par les révolutions arabes. Le président ivoirien reconnu par la communauté internationale a alors poursuivi son combat en interne pour défaire militairement Gbagbo dont la chute est une leçon. La démocratie progresse parfois à coup de poing. Maintenant, il reste à savoir ce que fera Ouattara ? Le risque qu'il se comporte à son tour en satrape est appréhendé par l'ONU dont le SG appelle à la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, travaillée à vrai dire par la guerre civile depuis 2002. D. Bouatta