La pièce théâtrale Kef e'nmer (rocher du tigre), la dernière production du Théâtre régional d'Oum El-Bouaghi, écrite et mise en scène par Djamel Hamouda, secondée par Zerara Kamel, a été présentée au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, durant trois jours. Elle est interprétée par un quatuor de comédiens : Djamel Tiar (El-Bahar, le mari), Yasmina Ferriak (Wanissa, la femme du marin), Hichem Guergah (Satan) et Ferhat Abdellah (Diable). La pièce raconte l'histoire d'un marin qui a passé plus de 25 ans de sa vie à parcourir les mers du globe à la recherche de sa nourriture et qui décide un jour de se fixer définitivement sur la terre ferme, suite aux supplications de sa mère. Souhait exaucé. Attaché à un rocher situé en pleine falaise que la nature a façonné en lui donnant la forme d'un tigre accroupi, le marin s'y installe et prend la défense de ce rocher du tigre protecteur. Non seulement il constitue une œuvre d'art, mais aussi le symbole du gardien du pays, le chasseur des esprits maléfiques, combattant des envahisseurs, le témoin du passé. Malheureusement, les vents soufflent à contre-courant, et Kef e'nmer devient objet de convoitise de la mafia du foncier qui désire l'écrêter pour construire à sa place un dancing. Le marin se manifeste pour protéger le site symbole de courage, de loyauté mais aussi de mémoire. Son épouse Wanissa se joint à lui pour lui apporter accompagnement et soutien moral. Ils s'installent sur la falaise près du site pour défendre ce symbole, ce témoin du passé. Si la structure de l'histoire racontée paraît simple, elle est au contraire très riche en symboles à décoder. La pièce dénonce avec véhémence les comportements anormaux qui défient tout simplement la morale, la décence et la bienséance... les maux sociaux qui conduisent inéluctablement à la faillite morale, à la dégénérescence de notre société, de notre monde. Sous une forme d'humour noir, les répliques soulignent avec cruauté, amertume et parfois désespoir l'absurdité du monde face à laquelle il constitue une forme de défense. L'humour noir utilisé à petites doses fait rire ou sourire le spectateur des choses les plus sérieuses. Le rire que provoquent les répliques des quatre comédiens gênent, donnent honte, font hésiter le spectateur qui en rit entre sa réaction naturelle, le rire, et sa réaction réfléchie, l'horreur ou le dégoût. La pièce théâtrale préfère rire du sujet pour n'avoir pas à en pleurer. Les répliques du marin, devant le flux et le reflux des vagues, nous embarquent et nous plongent dans une multitude de réflexions sur notre présent et notre devenir. Dès le début, la pièce nous pousse au-delà de nos capacités, doucement, pour que nous entreprenions un long voyage dans l'intérieur de notre être, au-delà du concept de la matière, du temps et dans le monde de ceux avec qui nous vivons et nous réfléchissons. B. Boumaïla