Qualifié d'anticonstitutionnel, de prison, d'une atteinte au droit de choisir ou vivre, d'aberration, de mesure populiste, le service civil imposé aux médecins spécialistes a contribué aussi, selon les concernés, à de nombreux divorces et entraîné des drames familiaux. Le Collectif autonome des médecins résidents algériens (Camra), en grève illimitée depuis des semaines, réclame la suppression du service civil qui oblige un médecin à travailler entre un an et quatre ans dans des zones éloignées. Il en fait même sa revendication principale, tout en se défendant d'être démissionnaire vis-à-vis des populations vivant en zones recluses en matière de prise en charge médicale comme l'accuse le ministre de la Santé. “Il est honteux qu'après 50 ans d'indépendance, le pays recourt aux médecins chinois et cubains pour faire face au grand vide dans les régions comme le Sud”, a déclaré récemment le ministre. Selon les médecins résidents, le service civil est une décision populiste qui ne résout en aucun cas le problème de la couverture sanitaire des régions reculées du territoire national. Ils avancent que 80% des malades du Grand-sud et des Hauts-Plateaux sont systématiquement transférés vers les grands CHU du pays. Car, muter un médecin spécialiste tout seul, comme c'est le cas actuellement, ne règle pas entièrement le problème, puisque les médecins spécialistes fonctionnent à deux ou en équipe. Souvent, ils se retrouvent également sans matériel adéquat et sans plateau technique. Selon une dermatologue exerçant dans l'ouest du pays, le service civil est une sorte de prison qui plonge le médecin dans la stagnation. “Il ne nous est pas permis de faire des stages à l'étranger sous peine d'être radiés du corps et on ne peut pas non plus demander un transfert même en cas de problèmes familiaux graves.” Elle soutient que de nombreux couples ont divorcé à cause de cet éloignement forcé et beaucoup de familles se sont opposées à ce que leur fille médecin s'éloigne du domicile parental. L'inefficience du service dans sa version actuelle a conduit, en outre, à la fuite des cadres vers l'étranger, une fois leur formation terminée. Selon le témoignage de cette dermatologue, même après l'accomplissement de ce service, c'est un parcours de combattant que de revenir vers sa wilaya d'origine. En effet, à la fin du service civil, trois possibilités s'offrent au médecin : soit il démissionne de son poste pour un travail dans une structure privée, soit il demande le maintien au poste, soit il réclame une mutation sous réserve d'avoir l'avis favorable de la structure sanitaire ciblée. Et c'est là que commence la galère. Aller exercer dans les régions reculées du pays n'offre pas actuellement beaucoup d'avantages compensatoires, affirment les médecins spécialistes qui mettent en avant l'épineux problème du logement. Le problème du dépeuplement des zones enclavées peut être, affirment ces derniers, résolus par d'autres moyens. à savoir de leur donner le choix de s'installer dans ces régions, à condition de revoir de manière conséquente leur salaire, de mettre à leur disposition des logements de fonction et aussi de leur payer des billets d'avion. “Pourquoi paye-t-on des cubains à 300 000 DA par mois et pas nous ?!” s'indigne une résidente. “La coercition ne nous mène nulle part. Pourquoi un service civil pour les médecins et pas pour les autres catégories professionnelles. Nous n'avons signé aucun contrat avec l'état sur le service civil”, rétorque un autre médecin. Tantôt le ministre de la Santé déclare que le service civil ne sera pas abrogé, tantôt il réplique que sa suppression ne relève pas de ses prérogatives, mais de celles du gouvernement. Les médecins résidents proposent, eux, une évaluation du service civil et une formule alternative pour assurer la couverture du pays en spécialistes. C'est l'impasse. Nissa H.