L'auteur du best-seller “Taxi, Hawadith el- machawir”, revient dans cet entretien sur son livre écrit dans la forme littéraire arabe de “Al-Maqama”, sur ses personnages pour qui il cultive tendresse et affection, et sur la révolution égyptienne et son impact sur l'art et la culture. Liberté : Comment est né “Taxi, Hawadith el-Machawir" ? Khaled Al Khamissi : Je me suis mis à écrire ce livre en 2005. 2005 c'était une année primordiale dans l'histoire de l'Egypte moderne, c'était un “turning-point”. C'est l'année où l'Egypte a commencé une mouvance politique, culturelle et sociale très, très importante. Et je voulais en ce temps (2005) écrire un texte sur la rue du Caire, car cette rue vibrait autant dans cette mouvance sociale. Je voulais écrire sur des personnages qui vivent dans la rue du Caire, et j'ai pensé que le chauffeur de taxi est un personnage très dramatique qui représente beaucoup la rue du Caire, qui représente totalement la société égyptienne qui vibrait dans ce temps. Je voulais parler de cette ébullition ; ce qu'on voyait, ce qu'on écoutait très clairement dans la société égyptienne. Pour la forme, c'est une forme littéraire arabe qui s'appelle “Al-Maqama”. C'est une forme littéraire très ancienne qui a été écrite pendant des siècles et des siècles : c'est un passager qui ne connaît pas et qui converse avec des gens qui connaissent et savent parler de la réalité sociale. Donc, c'est une forme littéraire totalement arabe. Je ne voulais pas écrire un texte de forme littéraire européenne, je ne veux pas dire que je suis antiroman. Pas du tout. J'adore la forme romanesque mais j'adore aussi nos formes littéraires arabes. Ce qui est honteux, c'est que beaucoup de gens ne connaissent pas les formes littéraires nées et développées durant la civilisation arabe qui a duré des siècles et des siècles, mais on connaît très bien la forme littéraire du roman qui est née récemment, au XVIIIe siècle, surtout en Europe. Vous donnez la parole à des chauffeurs de taxi, et vous inversez un peu la donne, puisque d'habitude c'est le client qui parle et le taxi qui écoute. Etait-ce par-là une manière de donner la parole à ceux qui n'avaient pas (ou plus) de voix ? Donner la parole, je ne sais pas, je voulais surtout parler de la personnalité égyptienne, je voulais parler des simples gens, et je voulais parler aussi de la sagesse populaire. Moi, je suis très confiant qu'on est un peuple très avisé ; on est un peuple millénaire. Et c'est vrai que beaucoup de fois, pour des raisons surtout politiques, on écoute seulement la bêtise et la laideur. C'est vrai que la laideur a régné pendant trente ans, et même plus, près de quarante ans, mais elle n'était pas réelle, elle était superflue. Elle était partout, et on n'écoutait que la stupidité, la bêtise et la laideur. Je voulais écrire surtout la réalité telle que je la voyais, de cette sagesse réelle en le peuple égyptien. Vous n'arrivez pas à vous départir de votre subjectivité, vous vous mettez en scène puisque vous êtes personnage… Oui, c'est vrai. Mais être subjectif c'est être écrivain. Le romancier est tout le temps subjectif et, certainement, je le suis. Et dans ce livre, j'ai écrit ce que je voulais écrire. Il y a beaucoup de tendresse dans les personnages, beaucoup de fatalisme, mais aucun n'est amer… Je suis content de ce que vous me dîtes, mais je ne suis pas moi-même critique littéraire, j'ai écrit ce que je ressentais. Moi, j'écris à partir d'une partie très lointaine de ma subconscience. Mon subconscient me dicte totalement, je ne suis pas quelqu'un de rationnel en écriture. Vous n'avez donc aucun contrôle sur ce que vous écrivez ? Pas beaucoup. La subconscience est vraiment la reine des choses. C'est tout le temps comme ça, je veux écrire sur quelque chose et je me retrouve à écrire sur autre chose. Donc, la subconscience gagne totalement avec moi. Quelle est la part de la fiction dans “Taxi”, où vous vous mettez en scène en tant qu'écrivain-narrateur, où les personnages sont plus réels que réalistes ou est-ce dans le fond politique qui est en arrière-plan, cédant ainsi la place à l'humain ? C'est totalement fictionnel. Tout le livre est fiction, à part l'histoire de ma fille qui a été harcelée par un taxi. C'est la seule vérité réelle et pas réaliste. Le livre est très réaliste mais il n'est pas réel ; je ne l'ai pas vécu. Il n'y pas une seule vraie histoire, mais elles sont toutes totalement réalistes. C'est un livre de fiction, c'est un livre littéraire mais il se veut être totalement réaliste et qui veut être totalement représentatif de la rue, et des personnages de la rue du Caire. Quel serait l'impact de la révolution égyptienne sur les arts ? On vivait la révolution depuis très longtemps. J'ai dit que 2005 était le début d'un mouvement et je peux dire que c'était le début d'un mouvement révolutionnaire. Et, donc, cette révolution on l'a vécue depuis six ans maintenant et qui était très, très claire dans le domaine culturel et artistique. On a plein de nouveaux écrivains qui écrivent des textes différents, des formes différentes et dans un langage différent. Mais ne craignez-vous pas qu'il y ait une sorte de chaos artistique où les artistes seraient amenés à dire les choses de manière frontale, dans un discours direct ? Non je ne crois pas. Je crois que ça peut arriver dans les semaines qui viennent, mais seulement dans les semaines qui viennent. Je crois qu'on va vivre une continuité de cette révolution artistique et culturelle ; la continuité d'une révolution très belle et très claire dans tous les domaines : musique, cinéma, littérature, théâtre…etc. Tout cela représente des reflets de la révolution égyptienne, et je voyais que tout cela allait éclater sur le plan politique. C'était très clair. Donc, ce qui s'est passé ces derniers mois, c'est une explosion qui ne va pas changer réellement la direction des changements qui ont commencé. C'est vrai que la chute de Moubarak c'est très puissant, et cette puissance va continuer dans le domaine politique, mais dans le domaine social, c'est précédé. Le social a précédé le politique, et le culturel a précédé le politique. Ce qui va se passer c'est une confirmation. Ils auront plus de visibilité. La révolution est une révolution politique, elle va changer certainement le paysage, c'est un travail à faire aujourd'hui pour continuer ce vrai changement. Culturellement, il y aura de vrais changements. Mais cela a déjà commencé, et il y a des chefs de file, on va seulement confirmer et continuer. S. K.