Empêchés de marcher vers le Palais du gouvernement, les étudiants ont pris de cours les forces antiémeutes et ont décidé de rallier la Présidence en courant. Ils ont pu arriver à moins de cinq cents mètres du siège d'El-Mouradia. Tabassés, violentés, blessés... Les étudiants ont, au final, réussi leur marche. Rien n'a pu les arrêter. Le million d'étudiants n'a pas été atteint certes mais les 5 000 manifestants, qui ont répondu à l'appel de la Coordination nationale autonome des étudiants (Cnae), ont pu relever le défi. La marche des étudiants n'aura été qu'une simple continuité de ce qui s'était passé la veille à quelques mètres de la Présidence. L'impressionnant dispositif sécuritaire, mis en place pour bloquer l'action pacifique des étudiants venus de tout le territoire du pays, a fait que les manifestants revivent le cauchemar de la veille et au même endroit. En effet, l'esplanade de la Grande-Poste était le point de rendez-vous des manifestants qui devaient entreprendre leur marche vers le Palais du gouvernement pour revendiquer la satisfaction de la plate-forme de revendications pédagogiques. Mais comme il fallait s'y attendre, les barricades étaient également au rendez-vous. Toute l'esplanade a été clôturée pour éviter tout attroupement. Les étudiants, décidés plus que jamais à réussir leur marche, commençaient à affluer dès 9 heures du matin. Ils se rassemblent à l'entrée de la rue Larbi-Ben-M'hidi. Et leur nombre croissait au fil des minutes. Vers 10 heures, les slogans commencent à fuser. Les forces antiémeutes repoussaient les manifestants en usant de leurs boucliers. Les étudiants scandant à tue-tête “Harraoubia dégage”, “Marche pacifique” “Nous sommes des étudiants pas des voyous”. Les policiers les repoussent pour les empêcher de rallier leurs camarades qui se sont rassemblés à quelques mètres. Mais les nombreux étudiants ont réussi à briser la ceinture de sécurité et à se regrouper. Entre-temps, les blessés sont évacués par les agents de la Protection civile. Le visage ensanglanté, un étudiant demande aux photographes de presse de le prendre en photo “pour montrer aux lecteurs comment sont traités des étudiants”. Les forces antiémeutes tentent d'encercler les manifestants en fermant tous les accès menant de la Grande-Poste vers le Palais du gouvernement. Mais, les étudiants n'auront aucun mal à forcer le cordon de sécurité. Ils foncent du côté de la faculté centrale en scandant “Marche pacifique” au milieu des voitures. En arrivant au niveau du second portail de la fac centrale, ils marquent une halte pour inciter les étudiants de cette université à les rejoindre. “Venez, vous êtes concernés”. Ne les voyant pas sortir, ils poursuivent leur marche. Surprise, le tunnel des facultés est fermé. Changement d'itinéraire : La présidence au lieu du Palais du gouvernement Les étudiants, qui se trouvaient au premier rang de la marche, annoncent le changement d'itinéraire. Il faut aller vers la Présidence. C'est au niveau du boulevard Mohammed-V que la course à pied vers le Golf commence. Scandant “Marche pacifique”, ils profitent de la non-présence des policiers et courent pour avoir une longueur d'avance sur eux et arriver sans peine à la Présidence. Les riverains filment la marche et lancent des bouteilles d'eau aux étudiants assoiffés qui, en guise de remerciements, applaudissaient. Une véritable course à pied au milieu des voitures. Arrivés au carrefour de l'école des Beaux-Arts, les automobilistes qui ne comprenaient pas ce qui se passait n'ont qu'une idée en tête faire demi-tour sans se soucier des piétons dont certains ont failli être écrasés. Les magasins et autres boutiques baissent les rideaux et les institutions ferment les portails. Les étudiants courent vers El-Mouradia avant qu'un dispositif sécuritaire ne soit mis en place. 11 heure 51, les premiers manifestants arrivent à la place Addis-Abeba où un dispositif sécuritaire était déjà en place. “Faites demi-tour. Redescendez”, leur lancent des policiers. L'un d'eux ira jusqu'à menacer un étudiant avec son fusil à pompe. Son collègue le rappelle à l'ordre en lui disant : “Ne fais pas ça, n'oublie pas que les photographes et les journalistes sont là.” Une petite pause qui nous permet de reprendre notre souffle. Elle sera de courte durée puisqu'une fois de plus, le cordon de sécurité ne résistera point. Les blessés sont évacués et les autres étudiants foncent en courant. À 12 heures, ils arrivent au même endroit où nombreux parmi eux ont été tabassés la veille près du lycée Descartes. Un dispositif était chargé de l'accueil. C'est la panique générale d'autant que l'arrivée des manifestants a coïncidé avec l'heure de la pause déjeuner et de la sortie des classes. Les écoliers et les lycéens scolarisés à Descartes sont restés bloqués et leurs parents n'ont pas pu les récupérer. Dépassés, ne pouvant plus contenir le flux des étudiants qui arrivaient, les responsables de la sécurité utilisent les fourgons pour bloquer la route. Après une petite pause, les étudiants foncent encore mais sont arrêtés face au deuxième portail du même lycée. Cette fois-ci, la pause tardera un peu. On a même vu des étudiants discuter avec des policiers qui constituaient la ceinture de sécurité. Du côté de la Présidence, la vigilance est de mise. Dispositif sécuritaire impressionnant au niveau de toutes les rues et ruelles. Même les nombreux curieux étaient priés de partir. Il ne restait que quelque 500 mètres pour arriver au siège de la Présidence. Les étudiants, qui transportaient les blessés, se sont vu refuser le passage vers les ambulances. “Laissez-les ici, on s'en occupe”, leur lancent les policiers. En réponse à l'agressivité des policiers, les manifestants se sont mis à scander des slogans politiques qu'ils avaient rejetés auparavant. Pendant près d'une heure, ce fut tantôt accalmie et tantôt bastonnade et jets de pierres. À 14 heures, “l'assaut” est donné. Les étudiants seront refoulés en une fraction de seconde vers la place Addis-Abeba. Les deux parties s'affrontent et les blessés s'alignent sur le trottoir. Les étudiants n'ont pu faire face à cette nouvelle “attaque” et seront contraints de rebrousser chemin jusqu'à la place Addis-Abeba. Ils continueront leur marche jusqu'au point de départ à savoir la Grande-Poste où ils se sont rassemblés.