Dénonçant les restrictions du droit de grève, les arrestations et les harcèlements, les syndicats autonomes se mobilisent. L'interpellation d'enseignants grévistes affiliés à la Coordination nationale des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest) et au Conseil des lycées d'Alger (CLA), dimanche dernier, ainsi que le maintien en garde à vue d'un des meneurs, en l'occurrence le porte-parole du CLA, M. Osmane, pendant plus de vingt-quatre heures était sans doute la goutte qui a fait déborder le vase. Profondément remontés contre les velléités ministérielles de restreindre le recours au droit de grève, les syndicats autonomes craignent sérieusement pour leur existence. Pour cause, le recours à la force, avant-hier, contre des enseignants qui ont manifesté pacifiquement devant leurs établissements pour réclamer des salaires plus conséquents dénote la volonté des pouvoirs publics de faire taire la contestation sociale. Cette volonté est d'autant plus affirmée qu'elle reflète un désir beaucoup plus lancinant de préparer la prochaine échéance présidentielle dans le calme. Pour les travailleurs affiliés aux différentes organisations syndicales, il est toutefois hors de question de sacrifier les acquis d'octobre 1988 pour ne pas déranger les ambitions des plus puissants. Aussi, ont-ils justement choisi la commémoration de cette date mémorable pour réintégrer le champ de bataille et renouer avec la lutte pour la sauvegarde du pluralisme arraché grâce à octobre 1988. “On défend à des organisations reconnues au niveau international le droit de militer, on intimide leurs adhérents, on les harcèle, on les emprisonne. La coupe est pleine”, s'insurge Farid Cherbal, secrétaire général de la section du Conseil national des enseignants du supérieur (CNES). Initiateur d'une rencontre des syndicats autonomes, prévue depuis le 18 septembre dernier, le Cnes a réuni, hier, en son siège de la rue Charras, à Alger, pas moins de sept autres syndicats autonomes, à savoir ceux des magistrats, des praticiens de la santé publique dont des spécialistes, des professeurs et docents, ainsi que les autres affiliés au secteur de l'éducation nationale, l'UNPF et le SATEF. Déjà regroupées au sein d'une coordination intersyndicale, ces organisations ont décidé, à l'issue de leur rencontre, de mettre sur pied un Comité des libertés syndicales (CLS). Cette démarche n'est pas sans nous rappeler l'émergence d'entités semblables au lendemain d'octobre pour dénoncer les atteintes aux libertés. “Aujourd'hui, c'est le retour en arrière. On veut effacer quinze ans de combat pour la promotion de la démocratie et réhabiliter le vieux système”, constate amèrement maître Meziane, avocat de M. Osmane, porte-parole du CLA. Il était convié, hier, à la réunion de l'intersyndicale. Etaient également présents de nombreux enseignants. Pour eux, la priorité était bien évidemment dans la libération de leur leader. Dans le communiqué qui a consacré les travaux de la rencontre, cette revendication était inscrite en droite ligne. “Regardez, la mobilisation paye toujours”, se félicite Cherbal du CNES en apprenant la libération de Osmane en fin de journée. Néanmoins, à ses yeux, la bataille est loin d'être gagnée. “Ce ministre — Tayeb Louh, ministre de la Justice, ndlr — oublie que le CNES l'a aidé pour organiser des AG du temps où il était président du Syndicat des magistrats. Aujourd'hui qu'il est au gouvernement, il veut prendre des mesures pour nous empêcher d'engager des actions de protestation et réclamer nos droits”, s'offusque notre interlocuteur. Rejetant le retour annoncé aux années de plomb, le Cnes et les autres syndicats non affiliés à l'UGTA ne comptent pas se laisser faire et mourir. Afin de faire entendre leur voix, ils n'excluent pas d'engager les actions les plus extrêmes. “Nous donnons quinze jours pour consulter nos bases. Après l'expiration de ce délai, nous nous réunirons, de nouveau, ici — au siège du CNES — pour décider d'une action commune de protestation”, confie le délégué de l'USTHB. S. L. Intimidations policières devant les lycées Les rassemblements que devaient tenir les enseignants, hier, devant leurs établissements respectifs, n'ont pas pu se tenir. Des agents de police déployés sur les lieux ont sommé les protestataires de rentrer à l'intérieur des lycées au motif que les regroupements sur la voie publique sont interdits. Les plus rétifs étaient menacés d'être interpellés et conduits au commissariat. “Ce matin, nous avons reçu un appel de responsables de la police nous demandant de calmer le jeu”, confie un responsable du CLA. “Si vous voulez que votre collègue Osmane, porte-parole du CLA, soit libéré, il faut faire preuve de sagesse”, ont averti ces officiers de police. S. L. Le porte-parole du CLA relâché Après plus de 16 heures de détention au commissariat de Cavaignac, R. Osmane a été relâché, hier, aux environs de 17h30. Il a été embarqué, samedi dernier, par la police judiciaire, lors du sit-in des enseignants au lycée El-Idrissi, sous prétexte d'attroupement non autorisé, tapage et dégradation des lieux publics. “Ce n'était pas une arrestation, ils m'ont arraché du rassemblement et embarqué violemment au commissariat”, a déclaré, juste après sa libération, M. Osmane. “Cette arrestation, poursuit le leader du CLA, est une décision politique, destinée à intimider les enseignants et les citoyens afin de bafouer toutes les libertés.” Par ailleurs, il affirme qu'il a répondu à toutes les questions posées par le procureur qui a décidé de le mettre en garde à vue pour complément d'information. “J'ai nié les accusations, je ne représente pas un “attroupement” et, en aucun cas, nous avions l'intention de faire du tapage sur les lieux publics”, explique le porte-parole du CLA, qui ajoute : “Nous avons l'habitude de nous regrouper devant le lycée El-Idrissi pour clamer nos doléances.” “Cette fois, c'était pour fêter la Journée mondiale de l'enseignant, une journée placée sous le thème de la dignité !”, assène Osmane. Pour rappel, hier, R. Osmane, porte-parole du Conseil des lycées d'Alger (CLA), a été auditionné aux environs de 16 heures par un juge et a été libéré et mis sous contrôle judiciaire. “Le juge a été impartial, j'avais foi en lui. Si je suis libéré, c'est grâce au combat des enseignants, des syndicats et à la solidarité des citoyens, même celle des policiers qui l'ont exprimée avec des gestes très aimables. C'est cette solidarité qui est notre force”, conclut le porte-parole du CLA. Par ailleurs, les enseignants reprendront les cours aujourd'hui, tout en maintenant le programme d'actions des 21 et 22 juin. Cependant, les délégués du Conseil des lycées d'Alger considèrent que c'est la mobilisation des enseignants du secondaire qui a permis le succès du mouvement. “C'est une victoire avant tout de la démocratie et de la solidarité syndicale.” Le Conseil des lycées d'Alger déclare que ce mouvement de contestation sera maintenu, tant que le ministère tutelle affiche la même attitude envers les enseignants. Nabila Afroun