Comme à l'accoutumée, Alger, assommée, s'est réveillée, ce matin, un peu plus tard que d'habitude. Comme à l'accoutumée, la foule des jeûneurs a largement investi les marchés pour déguster des yeux les délices du ftour. Comme à l'accoutumée, les rues de la capitale et de tout le pays se dépeupleront au crépuscule pour ne résonner qu'au tintement des cuillères de soupe fumante à la coriandre. Comme à l'accoutumée, les chants des taraouih s'élèveront des minarets pour célébrer le mois sacré... Comme à l'accoutumée, l'ENTV nous servira, en guise de dessert, ses pathétiques sketchs-chorba. La vie jusqu'alors suspendue à l'appel du muezzin reprendra également son cours dans la rue et les cafés grouillants. Elle s'illuminera de guirlandes et s'animera au gré d'une soirée ramadhanesque qui, comme à l'accoutumée, taira les cris des ventres demeurés creux et jettera, une nouvelle fois, l'ombre sur toutes ces silhouettes fugaces de sans-logis qui ont rompu le jeûne à la belle étoile. Triste est encore le ramadhan ! Il est triste car, comme d'habitude, il ne saura, sous un air de fête, dissimuler l'indigence de milliers d'Algériens qui sortent de leur clandestinité, pour quêter la rahma des âmes charitables. Ils étaient là, la veille de ramadhan déjà, plus nombreux à tendre la main aux passants et aux automobilistes. Demain et les jours suivants, lorsque les modestes économies des moins démunis se tariront, gageons qu'à leur tour, ils ravaleront leur dignité pour quémander le repas du soir. Cette année encore, outre le Croissant-Rouge, diverses organisations, telles que l'UGTA, des associations de bienfaisance, des sociétés nationales, ont ouvert des restos du cœur au profit des plus malheureux. En guise de zakat, le gouvernement a également pris ses dispositions en débloquant une enveloppe de 50 milliards de centimes. Mais à combien de familles, cet argent va réellement servir ? Les quotas dont les plus chanceuses bénéficieront suffiront-t-ils à remplir leurs couffins des produits alimentaires de base ? Pendant longtemps, cette générosité s'est manifestée à travers les APC chargées de distribuer l'aide alimentaire. Or, que de fois les affaires du couffin de la honte ont défrayé la chronique. Passe-droits, détournements, longue attente, indigence du contenu des fameux paniers... Révoltant était le spectacle de toutes ces vieilles femmes amassées pendant de longues heures devant les sièges des communes et renvoyées chez elles en fin de journée sans les vivres. À l'une, les agents des services sociaux invoquaient la longueur de la procédure pour l'obtention d'une carte d'indigence, à l'autre, ils signifiaient une fin de non recevoir, sous prétexte que son travail de femme de ménage lui offre un moyen de subsistance... C'est vrai, même si elle doit nourrir de multiples bouches affamées, cette femme doit s'estimer heureuse. Pour cause, à tous ces pères et mères de famille auxquels il offre aujourd'hui la charité, l'Etat a commencé par leur enlever leur travail. Cette semaine encore, ce sont plusieurs centaines d'affiliés à la Caisse d'assurance chômage qui n'ouvrent plus droit à cette allocation. Quel sera leur sort ? Les 50 milliards du gouvernement pourront-ils adoucir un tant soit peu leur misère de vivre ? Rien n'est moins sûr. Dans les grandes agglomérations, la générosité des plus riches, sans doute, les aidera à garnir la meïda du ftour mais dans toutes ces petites bourgades où toute la population crie famine, d'où viendra le salut ? Ramadhan est ainsi. lI réfléchit chaque année dans les yeux des mendiants dans la rue la détresse de tous ceux qui hantent leurs gourbis sans l'attente du repas du soir. S. L.