J'adore la poésie arabe. Et je n'aime pas Al Moutanabi ! Dans toute leur histoire culturelle, les Arabes ont toujours cru qu'ils étaient, et par excellence, la nation de poésie. La umma de Achiâr ! C'est ainsi que le calife Al-Ma'mûn (786-833), celui qui a fondé Beyt Al Hikma (la maison de la sagesse) et qui a demandé de traduire la science des Grecs, a négligé la traduction de la poésie. Une autosatisfaction poétique ! Quoique les Arabes aient placé sur le même pied d'égalité Al Moutanabi (915-965) et les prophètes, je n'aime pas ce poète ! Même si les Arabes ont mis le destin de leur langue entre les mains de Al Moutanabi, ce dernier ne réveille pas en moi la passion de la poésie. J'aime lire et relire les poètes à l'image de : Al Maâri, Abou Nouas, Ibn Al Faridh, Al Hallaj, Al Bastami, Bashar ibn Burd, Rimbaud, Baudelaire, Edgard Alan Poe, et Homère et je n'apprécie pas Al Moutanabi. Mais pourquoi je n'aime pas Al Moutanabi, le poète ? Celui-ci fut l'image exemplaire de l'intellectuel assoiffé du pouvoir. Dans toute sa vie, il tenait, en permanence, le regard tantôt sur le calife tantôt sur le califat, ne cherchant que sa petite part du pouvoir. Les miettes ! Pourquoi je n'apprécie pas Al Moutanabi ? Tout simplement, parce que 99% de ce qu'il a écrit est constitué de poèmes d'éloges flatteurs de Sayf al-Dawla (916 -967), Abou Al-Misk Kafour(905–968), Adud Al-Dawla (936-983) et d'autres sultans, califes, vizirs et hommes de pouvoir ! Bouffon ! Même sa diatribe virulente envers Kafour calife de l'Egypte était fondée sur une vision purement raciste. Vide de toute critique philosophique ou politique, on y lit : “L'esclave n'est pas un frère pour l'homme libre et pieux Même s'il est né dans des habits d'homme libre. N'achète jamais un esclave sans un bâton pour l'accompagner Car les esclaves sont infects et des bons à rien dangereux.” Pourquoi je n'ai pas d'estime pour Al Moutanabi ? Autour de cette personnalité poétique, les Arabes ont élevé toute une tradition de la culture de la “soumission” et de “l'allégeance”. Par sa poésie et en sa personnalité, ils ont sacralisé la culture de l'irrationalisme. En lisant ce vers éloge du calife Kafour on découvre la mesquinerie de Al Moutanabi : “Ô Abou el Misk (Kafour) y-a-t-il dans votre verre un surplus que vous m'offrirez ? Depuis longtemps je chante et vous, vous buvez”. Pourquoi je n'admire pas Al Moutanabi, celui qui se dit prophète? Ils ont fait de lui le symbole de la langue arabe. Ambitieux, et il fut symbole de l'humiliation intellectuelle. Pourquoi je n'aime pas le poète Al Moutanabi ? Par sa poésie, ce dernier a sacralisé la rhétorique et a banni la question philosophique de l'existence. Et je me pose la question suivante : pourquoi les Arabes ont-ils célébré le poète le plus humilié et ont lié et jumelé son nom à celui de la langue arabe tout en oubliant les poètes courageux tels Hallaj, Bashar Ibn Burd ou Al Maâri? Nous avons besoin d'une nouvelle lecture rationnelle du patrimoine poétique enseigné à nos enfants et par delà une réécriture courageuse de l'histoire des intellectuels arabes, loin de toute sacralisation ou marginalisation. A. Z. [email protected]