À l'instar de Sétif et Kherrata, à Guelma, durant les évènements tragiques du 8 Mai 1945, les enfants de l'Algérie subissaient les pires sévices et tous les membres des AML (Amis du manifeste et de la liberté) furent arrêtés. L'un des premiers martyrs fut Djerbouh Abdelmadjid, assassiné dans les locaux de la police de la main même du commissaire Toquart. Le redoutable sous-préfet Achiary proclama la ville de Guelma en état de siège. L'appel du massacre retentit dans la matinée du 10 mai de la bouche même du sous-préfet : les fonctionnaires, les ouvriers, les colons, les jeunes gens, les femmes, les Maltais et même les Italiens recrutent des armes pour “chasser les ratons”, “ces va-nu-pieds faits pour nous servir, qui osent parler de dignité humaine et qui poussent la prétention jusqu'à vouloir être nos égaux et vivre comme des hommes sur cette terre d'Algérie qui doit nous appartenir pour l'éternité”. Tel est l'appel du sinistre et félon sous-préfet. La série des exécutions froidement perpétrées est inaugurée tôt le matin par le commissaire de police sur la personne de Djerbouh. Les armes automatiques entrèrent en action partout à intervalles réguliers, jetant l'effroi dans tous les quartiers musulmans. Le soir, vers 17h, le maire Maubert tenta auprès du sous-préfet, de calmer les esprits et obtint une liberté relative des conseillers municipaux musulmans. Hélas, le génocide avait déjà commencé. Combien d'Algériens tombèrent ce jour-là ? Des milliers à en croire des témoignages ! Les avions de chasse survolèrent un moment à basse altitude les quartiers arabes avant de quitter la ville pour se diriger vers les campagnes, lâchant leurs bombes et mitraillant en rase-mottes, tuant de nombreux paysans, non encore au courant du drame de Guelma. L'épouvante gagna les douars et les mechtas dans la nuit du 10 au 11 mai alors que Guelma fut épargnée par les bombardements aériens pour la simple raison que tous les Européens de la région s'y étaient rendus. Les coups de feu continuèrent tandis que les arrestations emplissaient, outre la prison civile, la gendarmerie, le local des Scouts musulmans et d'autres réquisitionnés pour servir de geôles où “l'Arabe” subissait les sévices et les tortures dignes de la Gestapo. Beaucoup de musulmans incarcérés ont vu des amis emprisonnés comme eux, partir au petit matin pour ne plus revenir. Le soir, quelques détenus étaient désignés pour enterrer, à la faveur de la nuit, des dizaines de cadavres dans des fosses communes alors que des centaines d'autres étaient incinérés dans le four crématoire tristement célèbre du côté de Kef El-Boumba situé à l'entrée sud d'Héliopolis. Pour honorer la mémoire de ces martyrs, une stèle a été érigée à cet endroit. Les geôles de la rue MOGADOR revisitées L'un des rescapés du massacre planifié du 8 Mai 45, appelons-le ammi Ahmed, est un octogénaire qui, sur notre insistance, a bien voulu nous livrer un court récit sur ce qu'il a enduré durant ces années de braise. Fatigué, visiblement affecté par ces souvenirs douloureux, on décèle, à travers ses lunettes de vue, une tristesse profonde quand il évoque cette tranche de sa vie. “Après notre marche, qui avait un caractère pacifique et au cours de laquelle nous affirmions nos aspirations pour recouvrer notre identité nationale, nous fûmes dispersés brutalement et beaucoup de compagnons furent massacrés par les balles assassines du colonialisme.” Notre interlocuteur enlève ses lunettes, les essuie machinalement et les repose sur la table. Il garde un silence que nous n'osons briser par respect car nous avons ouvert une plaie, à peine cicatrisée. Enfin, il reprend après un profond soupir : “Deux jours après, j'ai été arrêté chez moi par deux agents de police. J'habitais à l'époque la rue du Foundouk, actuellement rue Bouzit-Malika, dans le quartier de Bab Souk. J'ai dû les suivre pieds nus devant leur empressement. Je fus dirigé vers le commissariat de police de l'époque qui était sis rue Mogador, actuellement rue Mohamed-Debabi. Nous étions une quarantaine de détenus par chambre et nous souffrions de l'exiguïté, de la chaleur suffocante, de la soif et de la faim. Je me rappelle d'un fût métallique de deux cents litres qui nous servait à faire nos besoins. Je n'oublierai jamais un certain policier qui éprouvait un plaisir sadique à nous frapper sauvagement à l'aide d'une canne préalablement trempée dans un bassin d'eau. Nous souffrions le martyre, mais nous avions la foi, convaincus de la justesse de notre cause ! Nous partagions la nourriture que quelques éléments recevaient de l'extérieur de la part de leur famille”. Ammi Ahmed nous évoquera le four crématoire d'Héliopolis, Kef El-Boumba et la carrière de Hadj Embarek, qui ont été le théâtre d'atrocités, de crimes barbares, de génocide sur un peuple désarmé et pacifique.