Le Film de la Tripartite Les dés étaient pipés La lutte larvée entre UGTA, patronat et gouvernement, qui devait descendre dans l'arène de la tripartite, n'a finalement pas eu lieu. Les travaux de la onzième rencontre se sont déroulés, contre toute attente, dans une ambiance plutôt bon enfant. Le sentiment est partagé par tous les participants. Ni l'ordre du jour, ni la teneur des débats et encore moins la lassitude n'ont pu déteindre sur cette atmosphère décontractée qui a régné en maître, l'espace de 24 heures et 20 minutes, jeudi et vendredi, à la résidence El-Mithaq. Atmosphère. M. Ahmed Ouyahia, Premier ministre, ouvre la séance vers 10h20 dans la salle de réception sise au 7e étage. Le discours du Chef du gouvernement se veut rassembleur, mais surtout rassurant. “Les défis auxquels fait face le pays impliquent la concertation et le dialogue ainsi qu'une complémentarité de visions de la part des partenaires socioéconomiques, en vue de déterminer de nouvelles stations sur la voie du développement”, déclare-t-il à l'assistance. La brève intervention du premier responsable de l'Exécutif n'a duré, en effet, qu'une dizaine de minutes. La parole est aussitôt cédée aux partenaires socioéconomiques. Le premier à la prendre, le président de la Confédération nationale du patronat algérien (Cnpa), M. Naït Abdelaziz, s'étale longuement dans son discours. Il sera suivi ensuite par le président de la Confédération générale des entrepreneurs et opérateurs algériens (Cgeoa) et, dans l'ordre, par les représentants de la CAP, de la Cipa et de l'Union nationale des entrepreneurs publics (Unpe) qui a rejoint le “triangle” après une longue absence, décidée par l'actuel Chef du gouvernement, depuis 1996. L'énigme de la veste de Sidi Saïd Le SG de la Centrale syndicale, quant à lui, se distingue de ses “collègues de lutte”, en évitant de lire sa communication. “J'ai préparé tout un document, mais je vous épargne sa lecture”. Déterminé et enthousiaste de se trouver de nouveau en face des membres de l'Exécutif, Sidi Saïd ôte sa veste et provoque, de ce fait, l'hilarité dans la salle. “Allez-y, nous connaissons la règle, pour peu que vous n'enleviez pas la cravate…”, lance Ouyahia. Et au patron de l'UGTA de répondre : “Non, je ne vais pas le faire”, devant les éclats de rire de tous les invités. L'intervenant opte pour le langage franc dit “terre à terre” afin que, dit-il, le message passe mieux. Lors de son intervention préliminaire, Sidi Saïd s'est adressé au Chef du gouvernement en l'appelant : “Monsieur le secrétaire général.” Le patron de la Centrale rectifie le tir en ajoutant, avec humour : “C'était un lapsus révélateur”. Le Chef du gouvernement clôture les déclarations préliminaires, invite la presse à évacuer le lieu de la rencontre et “décrète” le huis clos. Il est 11h44. “Les journalistes peuvent être rassurés, il n'y aura pas de surprises avant 21 heures…” M. Ahmed Ouyahia avoue que les négociations ne sauront, toutefois, dépasser les 20 heures. “Soyez-en sûrs”, rassure-t-il. Aussitôt dit, aussitôt fait : les médias libèrent la salle. Mieux, la plupart ont quitté carrément la résidence. Ils préfèrent revenir plus tard. Restent en tout et pour tout 7 journalistes. Ceux-ci accrochent les participants au sortir de la salle des négociations. C'est le cas de Sidi Saïd qui, entouré des collègues, refuse, en revanche, de souffler un traître mot. “Si je parle, ils me soupçonneront de vendre la mèche”. Mais, il confie aux journalistes cette phrase : “En dehors, du Snmg, nous avons obtenu un autre acquis et non des moindres, à savoir l'Agence nationale de l'emploi qui reprend ses prérogatives.” À 14h20 les négociateurs sortent de la salle pour le déjeuner. Les premiers à descendre vers le restaurant ne sont autres que les “vedettes” du jour, en l'occurrence Ahmed Ouyahia et Sidi Saïd, suivies par la suite des autres “tripartistes”. Cinquante minutes plus tard, M. Boukrouh, ministre du Commerce, fait son apparition, seul, vêtu d'un costume sans cravate. À peine s'il a pris quelques cuillères du repas offert pour la circonstance, il se dirige vers la cafétéria et commande un café qu'il sirote en s'isolant. Boukrouh, un Homme Seul ! À brûle-pourpoint, il commença à faire les cent pas dans les couloirs de la résidence. Hargneux, il suivit le même rythme pendant au moins une vingtaine de minutes avec une mine défaite ! Quelle mouche a bien pu piquer le ministre ? Pourquoi s'est-il esseulé ? Autant de questions qui restent posées. Son collègue, Benachenhou, donne un coup de fil de son mobile, non loin du périmètre “squatté” momentanément par le premier responsable du département du Commerce. Il tente de l'aborder. Boukrouh refuse de lui parler et poursuit sa marche… digestive. Visiblement irrité, voire déconcerté par un quelconque problème, le ministre semble entièrement… au retrait de l'événement. Mis à part son exposé sur la situation de son secteur, il ne s'est pas trop foulé la râte. La reprise intervient à 16 heures. Ouyahia, accompagné de ses deux gardes du corps, salue les quelques participants avant d'accéder à l'ascenseur qui le mènera vers la salle de conférences. Au bout de 37 minutes, Naït Abdelaziz se lève de la table des négociations. Il est à l'affût d'un chauffeur qui lui achètera un médicament en urgence. Le président de la Cnpa n'a, semble-t-il, pas pris ses dispositions… Une fois rassuré de l'arrivage imminent de son précieux remède, Naït, comme aiment bien l'appeler ses amis de la corporation, rejoint le groupe. Puis, c'est au tour de M. Benachenhou de faire une virée à la cafétéria. À une question de l'un des journalistes, il lâchera cette phrase lourde de sens : “Je suis là pour appliquer les décisions qui émaneront de la tripartite.” Interrogé sur l'opération de défiscalisation revendiquée par la CIPA, l'argentier du pays lance tout de go : “Hada klam faregh !” (des paroles en l'air) ! Le tableau noir de l'économie nationale, dressé par les partenaires socioéconomiques, n'a pas été du goût du ministre des Finances qui s'est laissé emporter en tenant des propos malveillants à l'égard des auteurs. Prise de bec entre Benachenhou et Sidi Saïd Votre appréciation de la situation, leur aurait-il dit, n'est “pas sérieuse”. Pis, le ministre pousse le bouchon plus loin et déclare : “On dirait que certains ne vivent pas la réalité algérienne…” Ce qui a provoqué de vives réactions de la part de Sidi Saïd dont la réplique ne s'est pas trop fait attendre. “Nous ne sommes pas là pour tricher, mais dans le but de comprendre au mieux la situation”, rétorque le SG de l'UGTA. Incident clos. Il est 18 heures. Le ministre des Finances à l'adresse de qui les questions commencent à affluer, en esquive les plus dures, en fin rusé, et avoue non sans un brin d'ironie : “Laissez-moi reprendre le dialogue, sinon, M. le Chef du gouvernement me renvoierait.” À 23h18, le ministre de l'Intérieur, Zerhouni, descend seul par l'ascenseur pour prendre un café. Il repart au bout de 7 minutes à la réunion. Les “débatteurs” tiennent ensuite le crachoir jusqu'à 1h09 minutes. À cette heure précise, Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité, annonce que les partenaires socioéconomiques viennent d'aborder le 5e point inscrit à l'ordre du jour, à savoir “le soutien à l'investissement et à l'entreprise”. Ould Abbès, Défenseur du Secteur Public Le ministre souligne : “Je suis partisan de la sauvegarde du secteur public. Il y a toujours eu un fleuron de l'industrie qui a maintenu l'Algérie depuis les années 1970. Il faut, en outre, aider les entreprises performantes.” Vingt minutes plus tard, c'est au tour de Yousfi de la Cgeoa de se présenter à la cafétéria. Il annonce la création fort probable d'une agence auprès de la Chambre de commerce, chargée de la lutte contre la corruption. Parmi les 10 points proposés par cette organisation figure ce fléau qui ronge l'économie du pays. Elle a au moins le mérite d'aborder, pour la première fois, ce sujet. Cependant, sa proposition n'a, semble-t-il, pas eu l'aval de la tripartite. Certains participants marquent une pose et s'orientent vers la cafétéria. Malki, membre du secrétariat national de l'UGTA, prononce une déclaration à la radio. Naït, très actif aujourd'hui, signale que c'est la première tripartite qui aborde tous les problèmes de fonds. Enfin, 6 points à l'ordre du jour viennent d'être examinés et finalisés !!! Il est 7h17. Malki, toujours disponible, indique que son syndicat vient de suggérer un Snmg à 12 000 DA. La suggestion du gouvernement, en revanche, est pour le moins effarante ! Ouyahia propose une augmentation de quelque 10% uniquement, soit 800 DA ! Ce point a envoyé les deux parties au restaurant pour une pause petit-déjeuner. SNMG : Ouyahia consulte Bouteflika Devant l'impasse à laquelle sont arrivées les discussions, le Chef du gouvernement propose à son “adversaire” du jour un tête-à-tête, un autre… duel dans une autre salle au 7e niveau. Il est 7h45 quand Ahmed Ouyahia lance à Sidi Saïd : “Nous allons nous isoler comme deux vieux montagnards…” C'est là où le Premier ministre a consulté le Président sur un consensus déjà dégagé autour d'un Snmg à 10 000 DA. Le premier magistrat du pays donne alors son accord. Il ne reste que la signature des PV. Ce moment de répit permet à Ouyahia d'enlever sa veste et de fumer une cigarette. “Cela n'encourage pas la production nationale”, remarquera un confrère. À 9h52, Djoudi, ministre de la Participation et de la Promotion de l'investissement, lit la déclaration finale devant les yeux “somnolents” de Zerhouni, assommé par 24 heures et 20 minutes de débats d'une tripartite pas comme les autres... Badreddine KHRIS Benachenhou : “Pas touche à la Poste !” “La Poste continue de fonctionner comme avant, à gérer les CCP. Rien ne changera. La Poste fonctionne très bien. Quand une chose fonctionne très bien, on n'y touche pas”, a répondu le ministre des Finances sur la question du devenir de la Poste, à la lumière des changements opérés au niveau de la loi sur la monnaie et le crédit et le projet de loi de finances pour 2004. Pour Benachenhou, la Poste n'a jamais été une banque. En d'autres termes, ce n'est pas une institution qui collecte et qui prête de l'argent. La Poste n'a jamais été autorisée à prêter de l'argent. C'est une caisse. “Nous avons simplement dit que la Poste, au départ, était tenue de déposer ses excédents de trésorerie au Trésor, parce que c'était simplement un budget annexe ; elle n'avait pas d'autonomie juridique et financière. Elle continue de le faire.” Interrogé sur la remise en cause de l'autonomie de la Banque d'Algérie, Benachenhou affirme sèchement : “L'indépendance se mérite.” Il annonce par ailleurs, en raison de l'enchérissement de l'euro, que le service de la dette va augmenter de 10 milliards de dinars M. R. La Mesure, Enterinée par Bouteflika, Interviendra à partir du 1er Janvier 2004 Le Salaire minimum relevé de 2 000 DA Cette hausse de 25% ne compense que très partiellement l'érosion des revenus des salariés de ces dernières années. La tripartite, gouvernement-UGTA-patronat privé et public, a décidé, après plus de 24 heures de négociations non-stop, d'une augmentation du SNMG de 2 000 dinars, passant ainsi de 8 000 dinars à 10 000 dinars, à partir du 1er janvier 2004. Le Chef du gouvernement précise que la décision a été prise “avec l'accord du chef de l'Etat”. Cette revalorisation du Salaire national minimum garanti de 25% se répercutera aussi sur les retraites, principalement les petites pensions et les pensions des moudjahidine. Plus de 560 000 retraités et pensionnaires seront touchés. L'incidence financière de cette augmentation a été évaluée à 40 milliards de dinars, soit 4 000 milliards de centimes. Le ministre des Finances, M. Benachenhou, indique qu'elle a déjà été prévue dans le projet de la loi de finances pour 2004. En fait, seuls les bas salaires, ceux inférieurs à 10 000 dinars, et les autres salaires indexés sur le Snmg, bénéficieront de la hausse décidée par le gouvernement. Ce relèvement n'est pas imposable. Les autres salariés sont appelés à se battre au sein de leurs entreprises pour revoir à la hausse leur rémunération. “L'occasion est offerte pour réactualiser les conventions de branches dans le secteur public et entamer les discussions avec les organisations patronales dans le secteur privé”, note le communiqué final de la tripartite. Les négociations sur ce point ont été, nous dit-on, houleuses. Le gouvernement a proposé, au début, une augmentation de 10% seulement, soit 800 dinars. Pour le gouvernement, le budget de l'Etat fait face à un déficit important du fait des besoins sociaux et des impératifs de la relance du développement. Il affirme que le Trésor public sera non seulement confronté déjà au versement des salaires impayés des travailleurs, décidé lors de la dernière bipartite, mais aussi au sauvetage financier d'importantes entreprises publiques avec un coût qui atteint les 100 milliards de dinars. Pour le ministre des Finances, dans le rapport coût de la vie-Snmg, il faut tenir compte de ce qu'il appelle le coefficient familial. En d'autres termes, il se peut que, dans une même famille, on trouve plusieurs revenus. En terme d'argumentation, il soutient que le PIB par habitant est en augmentation. En 2003, il serait de 2 029 dollars US par habitant. Il semblerait que la décision a été prise lors de la pause petit-déjeuner, à 7h45 hier. Le Chef du gouvernement et le secrétaire général de l'UGTA, après consultation du président de la République, se sont mis d'accord pour un Snmg de l'ordre de 10 000 dinars. “Cette augmentation de 25%, qui reste insuffisante par rapport au pouvoir d'achat, est importante et significative et devra permettre d'alléger les charges des travailleurs”, souligne Ouyahia à l'issue de la tripartite. “Le gouvernement a pris en compte les difficultés que rencontrent les travailleurs en matière de pouvoir d'achat, d'une part, et les problèmes de l'outil de production et les capacités limitées du budget de l'Etat, d'autre part”, explique le Chef du gouvernement. Des entrepreneurs publics parlent du risque d'aggravation des difficultés financières des entreprises publiques, dont certaines n'ont pas été en mesure même de verser les salaires de leurs travailleurs, du fait de la décision de relèvement du Snmg lors de la dernière tripartite. En tout état de cause, l'UGTA trouve satisfaisante “l'augmentation du Snmg à 10 000 dinars, aussi minime soit elle”. Le patronat, l'UGTA et le gouvernement ont, par ailleurs, décidé de la révision des textes législatifs et réglementaires rendant, de fait, obligatoire pour tout employeur le passage par l'ANEM, tant pour la déclaration de l'offre d'emploi que pour le recrutement. Une façon de lutter contre l'évasion sociale (non-déclaration des travailleurs). L'accès aux dispositifs d'aide à la création d'emplois sera à l'avenir conditionné à l'inscription préalable à l'ANEM. En outre, la tripartite a endossé le rapport du groupe de travail bilatéral mis en place en octobre 2001 pour la réhabilitation, la modernisation et le développement de cette agence. On évoque, en fait, à travers le réaménagement du statut de l'ANEM, le retour des bureaux de main-d'œuvre. Le dossier de médecine du travail a connu une avancée remarquable. Le gouvernement a informé les partenaires sociaux que l'Institut national de prévention des risques professionnels entrera en activité avant la fin de l'année en cours. On prévoit aussi la création d'un organisme national de médecine du travail et la mise en place d'une commission de prévention des risques professionnels. Selon l'UGTA, pour la période allant de 1993 à 2002, 672 000 accidents de travail, dont près de 3 000 mortels, ont été enregistrés. Les dépenses de la CNAS en matière d'accidents de travail et des maladies professionnelles sont passées de 2,1 milliards de dinars à 7,9 milliards de dinars. Meziane Rabhi Les Principales Décisions - Augmentation du Snmg de l'ordre de 25%, passant de 8 000 dinars à 10 000 dinars à partir de 2004. Cette augmentation se répercutera dans les proportions légales sur les retraites et les pensions. - Obligation pour tout employeur de passer par l'Agence nationale de l'emploi tant pour la déclaration de l'offre que pour le recrutement. L'accès aux dispositifs d'aide à la création d'emploi sera à l'avenir conditionné à l'inscription préalable à l'ANEM. - Création d'un organisme national de médecine du travail et mise en place d'une commission de prévention des risques professionnels. L'Institut national de prévention des risques entrera en activité avant la fin de l'année 2003. - Préparation d'un sommet économique et social afin d'engager la concertation autour de la stratégie nationale de développement économique et social, avec la perspective de conclusion d'un pacte national économique et social. Pouvoir d'Achat Snmg : Très en Deça du Salaire de Survie En 2000 déjà, la Centrale syndicale évoquait la nécessité de revaloriser le Snmg à hauteur de 15 000 dinars. Elle n'obtiendra que 2 000 dinars, après des négociations acharnées dans un climat social des plus explosifs. Stagnant à 6 000 dinars depuis 1998, le salaire minimum garanti passera à 8 000 dinars en 2000 et vient d'atteindre les 10 000 dinars à l'issue de cette fraîche tripartite, au demeurant très attendue au double plan politique et social. Cela dit, l'ugta et le Snmg semblent avancer à pas mesurés d'une valeur de 2 000 dinars, soit environ 22 euros, pour déboucher sur une résultante salariale minimale, loin des attentes exprimées. Le “gain” obtenu par la Centrale et comptabilisé à son actif reste, néanmoins, insignifiant au regard du niveau de vie en perte de vitesse. À cela, il serait juste et rationnel d'inclure le paramètre inflation et la dépréciation du dinar, ces dernières années. Traduction : l'effort de négociation de l'Ugta converti en dollars, c'est-à-dire les 2 000 dinars qu'elle décroche sont absorbés au fur et à mesure de la dépréciation de la monnaie nationale. Les 2 000 dinars de 1998 ou encore de l'année 2000 n'ont assurément pas la même valeur sur le marché. Raisonnant en monnaie étrangère, on comprendra que l'Ugta a, cette année, obtenu 25 dollars alors qu'en 2000 elle avait décroché 28 dollars et en 1998 sa cagnotte pour le monde du travail était de 34 dollars. C'est dire que la Centrale syndicale a perdu au change sur ce parcours et en fonction de sa logique de négociations qui inclurait forcement la valeur du dinar, l'organisation de Sidi Saïd a concédé un net recul dans ce qu'elle aurait pu arracher. En revanche, il faut reconnaître que la Centrale a réussi son plus gros point entre 1997 et 1998, où elle avait, en l'espace de 16 mois, porté le Snmg de 4 800 dinars à 6 000 dinars. Soit près de 50% de relèvement. Aujourd'hui, l'issue de cette tripartite ramenée à la réalité du panier quotidien des ménages malmenés par l'érosion du pouvoir d'achat et en l'absence d'indices de prix fiables soulève plusieurs interrogations. Le paradoxe de l'embellie financière et de la panne économique aura piégé les travailleurs algériens soumis aux aléas des négociations balisées par les limites inflationnistes et les risques de “déséquilibres financiers” avancés en guise d'arguments verrouillant à l'avance la portée de toute revendication. La question se pose de savoir si le salaire minimum s'est, en fait, enrichi de ces 2 000 dinars ou si, plutôt, il a juste fait l'objet d'un rééquilibrage compensatoire et dont les paramètres d'évaluation restent encore non clarifiés. L'an dernier, l'Ugta estimait que le salaire de survie, basé sur un panier minimum garanti, ne pouvait être inférieur à 20 000 dinars, et, en 2003, la même Centrale syndicale évoquait un salaire de survie de 23 000 dinars pour une famille de sept personnes, soit près de trois fois le Snmg. Autrement dit, l'Ugta est convaincue que le seuil minimum salarial se situe à ce niveau et pourtant, le résultat de sa négociation s'est arrêté à 10 000 dinars, soit à une distance de 13 000 dinars de sa conviction. En attendant les futures tripartites, reste à espérer que le niveau minimum de négociation garanti soit revu à la hausse par les syndicalistes en charge de la protection du pouvoir d'achat de milliers de travailleurs. A. WAHIB Une progression de 5 200 DA depuis 1997 La tripartite d'avril 1997 avait fixé le Snmg à 4 800 DA. En septembre 1998, il est porté à 6 000 DA, après avoir connu deux augmentations : 600 DA en janvier et 600 DA en septembre de la même année. Soit une avancée de près de 50%. En 2000, il atteindra 8 000 DA et, enfin, en 2003, le Snmg est élevé à 10 000 dinars. A. W. Dialogue avec les Partenaires de l'Exécutif Vers un Pacte Economique et Social Un consensus semble se dessiner pour relancer l'appareil productif. Un sommet économique et social sera organisé, selon des sources concordantes, dans les prochaines semaines, afin d'engager la concertation autour d'une stratégie nationale de développement économique. C'est l'une des principales décisions de la réunion tripartite, organisée les 9 et 10 octobre. Un consensus est d'ores et déjà dégagé entre le gouvernement et les organisations patronales et syndicales pour l'organisation de ce sommet. Ce sommet devrait regrouper, indique-t-on, le gouvernement, les représentants des organisations patronales et des employeurs publics, en vue d'élaborer une stratégie nationale de développement économique et social. L'objectif recherché à travers ce sommet est d'aboutir à la conclusion du pacte national économique et social tant souhaité et réclamé par le partenaire social. La tripartite a décidé, note-t-on, d'installer un groupe de travail mixte, composé de représentants de la Centrale syndicale et du gouvernement, pour préparer activement la tenue du sommet économique et social. La Centrale syndicale, qui a revendiqué cette initiative indispensable, dira-t-on, pour la paix sociale, considère que “l'élaboration d'une stratégie nationale de développement économique et social, qui a fait défaut depuis la fin des années 1980, est possible pour peu que nous affirmions davantage notre liberté d'initiative et de décision et que nous prenions nos distances avec les démarches et pensées doctrinales de type ultra-libéral”. L'UGTA a proposé, par ailleurs, la mise en place d'un plan national de développement industriel et économique afin de redynamiser l'industrie nationale. Il s'agit, soutient-elle, de rendre le secteur public plus compétitif et performant ainsi que de promouvoir les entreprises privées algériennes non spéculatrices car, elles participent à la création d'emplois et au renforcement de l'économie nationale. Ils ont conditionné la réussite de cette stratégie par l'implication de tous les partenaires sociaux dans les processus de diagnostic et d'évaluation, dans l'identification et le choix des objectifs et priorités ainsi que les modalités de mise en œuvre. L'organisation que dirige Sidi Saïd plaidera, en effet, pour une économie sociale de marché qui consiste à promouvoir la justice sociale et à combattre la pauvreté. Cette initiative, jugée fort louable et utile par les uns et les autres, est plus que nécessaire pour l'apaisement de la grogne du front social et l'instauration de nouveaux mécanismes de concertation et de dialogue entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux dans une conjoncture caractérisée par une ouverture de l'économie nationale sur l'extérieur. Faïçal Medjahed Mise à Niveau des Entreprises Publiques Un Dossier Litigieux Le dossier de la mise à niveau des entreprises publiques a suscité un débat houleux et très serré entre le ministre des Finances, les représentants des employeurs publics et la Centrale syndicale. L'objet du débat entre les deux parties tourne, notamment, autour du financement de l'opération de mise à niveau des entreprises publiques : est-ce qu'il sera assuré par l'Etat, l'entreprise ou bien les deux à la fois ? En effet, les avis des uns et des autres divergent sur le rôle de l'Etat et celui de l'entreprise dans la conduite de ce processus. Le ministre des Finances appréhende ce dossier comme étant “l'affaire de l'entreprise”, tout en estimant que “l'intervention de l'Etat se limite à des mesures d'accompagnement pour la mise en œuvre de cette opération”. Une approche que refusent en partie les opérateurs économiques publics et la Centrale syndicale, puisqu'ils ont mis l'accent sur la nécessité de promouvoir et d'exploiter toutes les opportunités de partenariat entre les entreprises, quel que soit leur statut juridique, en vue de renforcer les conditions de création de richesses et d'emplois. Concrètement, le gouvernement a défendu, bec et ongles, le principe que la mise à niveau interpelle, en premier lieu, les gestionnaires des entreprises publiques, tout en se prononçant en faveur “d'un allégement des difficultés financières des entreprises publiques, porteuses de perspectives de marché, l'accompagnement de la mise à niveau technologique et managériale et la valorisation de l'outil de production public par la voie du partenariat ou de la privatisation en concertation avec le partenaire social”. Pour cela, les représentants du patronat et de l'Union nationale des entrepreneurs publics (Unpe) ont accepté, indique-t-on, de se joindre au groupe de travail mis en place par la bipartite de septembre 2003, en vue d'une action complémentaire gouvernement-patronat-UGTA destinée essentiellement à valoriser le potentiel industriel national du secteur public économique et à l'insérer dans une démarche de développement économique national. Le ministre des Finances a affirmé dans une communication présentée lors de la tripartite que “l'assainissement financier des entreprises publiques économiques a coûté près de 100 milliards de DA”. L'Etat ne pourra plus injecter de l'argent dans la mise à niveau des entreprises publiques économiques non viables ou boiteuses, précisera- t-il. Néanmoins, la mise à niveau des EPE sera, désormais, indexée à la stratégie nationale de développement économique et déterminée en fonction des objectifs des stratégies sectorielles. Idem pour la mise à niveau du secteur privé qui devrait concerner, en premier lieu, l'entreprise privée, via une modernisation de son outil de gestion et de son management, pour la mettre en conformité avec les standards internationaux. D'ailleurs, le ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a opposé un niet catégorique aux doléances des représentants du patronat privé qui ont demandé une aide financière de 44 milliards de DA pour la mise à niveau de l'entreprise privée. Il rappellera, néanmoins, qu'un programme de mise à niveau des PME-PMI a été élaboré avec l'Union européenne dans lequel l'Etat est pleinement engagé dans la réalisation de ces opérations. F. M. Ils Ont Dit Sidi Saïd, Secrétaire Général de l'UGTA “La Machine économique est en Panne” “La machine économique du pays est en panne. Nous avons une responsabilité collective. L'urgence, c'est de chercher les voies et moyens à même de remettre en marche la machine économique. C'est cet esprit qui doit guider les travaux de la 11e tripartite. Tous les partenaires socioéconomiques regardent dans la même direction mais avec des angles différents. L'UGTA considère que les potentiels matériels, infrastructurels, financiers et humains sont autant d'atouts qui nourrissent l'espoir et offrent d'énormes possibilités au pays de renouer avec la croissance tant attendue. Nous proposons au gouvernement l'effacement des dettes de certaines entreprises, à l'image de la SNVI, Anabib, et dont le montant global s'élèvent à 147 milliards de DA. Lors des précédentes tripartites, des vrais problèmes ont été noyés dans de faux groupes de travail. Aujourd'hui, nous exigeons, la mise en œuvre effective et concrète des conclusions de la 11e tripartite.” Ahmed Ouyahia, Chef du Gouvernement “C'est insuffisant !” “L'augmentation de 25% du Snmg reste insuffisante par rapport au pouvoir d'achat, mais elle est importante et significative et devra permettre d'alléger les charges des travailleurs… Le gouvernement assumera ses responsabilités qui sont les siennes. Nous devons nous compléter tous dans l'élaboration des constats et surtout dans l'action. Je ne saurais être l'acteur du pessimisme et le partenaire du populisme. Si certains groupes de travail issus des dernières tripartites n'ont pas donné des résultats spectaculaires, beaucoup d'autres ont tout de même produit des législations et des institutions. Le dialogue et la concertation sont nécessaires, afin de relever le niveau le principal défi qui est le développement.” Patronat M. Habib Yousfi Président de la Confédération générale des entrepreneurs et opérateurs algériens (Cgeoa) “C'est une tripartite exceptionnelle, car elle a absorbé des problèmes importants pour l'entreprise dans un contexte particulier.” M. Bouâlem M'rakech, Confédération algérienne du patronat (CAP) “Cette tripartite a été très importante et ceci doit nous aider à entrevoir d'autres succès pour aboutir à un développement économique durable.” M. Abdelaziz M'henni Président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA) “Nous sommes heureux des résultats de la tripartite”, sans omettre de remercier le président de la République d'avoir accepté de relever le seuil du Snmg de 25%, soit de 8 000 à 10 000 DA.” Naït Abdelaziz Mohand Saïd Président de la Confédération nationale du patronat algérien (CNPA) “Nous sommes satisfaits des résultats de cette tripartite qui constitue un événement important dans la mesure où l'ensemble des acteurs économiques et sociaux ont débattu les préoccupations ayant trait aux domaines économiques et sociaux du pays.” M. Benyounès Ahcène Président de l'UNEP “L'UNEP considère que la promotion de la production nationale passe par l'amélioration du rôle régulateur de l'Etat en matière de lutte contre les pratiques illicites, les activités informelles, la contrefaçon et la concurrence déloyale.” En évoquant les résultats de la tripartite, dans une déclaration rendue publique, hier, à l'issue des travaux, il notera : “Nous sommes satisfaits des résultats de la tripartite.” Ce satisfecit découle, selon lui, de l'intérêt qu'accorde le gouvernement à l'avenir de l'entreprise publique qui se trouve au centre du développement économique et s'inscrit dans une dynamique de croissance. Propos recueillis par R. E.