“L'internet était déjà très cher et très lent, et maintenant il est très restreint”, se désole Ozgur Uckan, spécialiste des technologies informatiques. C'était lors d'une manifestation, dimanche, à Istanbul. Dans plus de 20 villes du pays, des milliers d'internautes sont descendus dans la rue pour s'opposer à la nouvelle réglementation du Conseil de la communication et des technologies informatiques (BTK). Cet organisme officiel prévoit d'imposer aux internautes quatre niveaux de filtrage du Web : “standard”, “famille”, “enfant”, “hors-Turquie”. L'ordonnance entrera en vigueur le 22 août prochain. Environ 10 millions d'abonnés, sur 70 millions de citoyens, payent mensuellement au moins 50 livres turques (25 euros) pour l'accès à Internet. Tayfun Acarer, président du BTK, estime qu'environ 40 000 sites sont déjà interdits. La censure se fait soit par décision du juge soit par décret du BTK. “Il s'agit essentiellement des sites pornographiques et de pornographie enfantine”, précise-t-il. Il omet toutefois de préciser que les sites et les blogs des mouvements et des médias kurdes, arméniens ou autres courants politiques d'opposition, sont également touchés. Pour sa défense, Tayfun Acarer avance qu'“au Royaume-Uni et en Allemagne, le nombre de sites interdits est trois fois plus important qu'en Turquie”. Mais de son côté, Yaman Akdeniz, professeur de droit cybernétique, est formel : “Concernant la liberté d'expression sur la Toile, la Turquie est devenue un pays de la catégorie de l'Iran et de la Chine.” Avis partagé par l'Union européenne, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et plusieurs ONG internationales. Des groupes d'internautes mécontents se sont aussi regroupés en une “plateforme commune contre la censure d'Internet”, qui s'oppose à la nouvelle ordonnance et clame : “La censure d'Etat vous protège des vérités.” Les deux partis de l'opposition parlementaire ne soutiennent pas ouvertement la liberté des internautes. Et la grande presse, surtout les quotidiens et les chaînes de télé pro-gouvernementales, ne parle même pas des grandes manifestations de protestation des internautes. De plus, fin avril, le BTK a publié une liste de 138 mots dont “blonde”, “animal”, “souffle” ou “lycéenne”, qui sont interdits comme nom de domaine. Dans le passé, le BTK avait même totalement interdit l'accès à des sites et serveurs — dont YouTube — au motif qu'y étaient abritées des pages “contre Atatürk, contre l'intégrité territoriale de l'Etat et de la nation turcs, ou bien pornographiques”.