Les transitions politiques ne sont pas faciles, la contre-révolution étant toujours en embuscade. Les Egyptiens et les Tunisiens, qui ont réussi à chasser leur dictateur, en sont conscients. Ils sont en alerte et toujours mobilisés. Alors que Barack Obama cherche des moyens de soutenir les mouvements de contestation dans le monde arabe, entraînant derrière lui tout le G8 ainsi que le FMI, allant jusqu'à examiner, au cours de la visite qu'il a effectuée en Pologne, le développement qu'a connu ce pays après la chute du communisme pour le donner en exemple à des pays comme la Tunisie et l'Egypte, les peuples de ces deux derniers manifestent encore leur mobilisation pour empêcher la contre-révolution qui menace chez eux. Les Egyptiens sont redescendus dans la rue vendredi pour une nouvelle “journée de la colère”, afin de protester contre la lenteur du changement promis par l'armée, au pouvoir depuis la chute du président Hosni Moubarak en février dernier. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées, à l'appel de mouvements de jeunes sur Internet, ceux-là mêmes qui avaient contribué de manière décisive au soulèvement anti-régime de janvier et février, dans l'emblématique place Tahrir, dans le centre du Caire, pour réclamer la fin de la corruption politique et une nouvelle Constitution “maintenant, pas plus tard”. À Charm El-Cheikh, la station balnéaire huppée sur la mer Rouge, des manifestants ont défilé devant l'hôpital où Moubarak, l'ex-pharaon, se trouve depuis la mi-avril, pour demander son transfert en prison. Il y a comme un divorce entre le Conseil suprême des forces armées qui détient le pouvoir jusqu'aux élections et les acteurs de la révolution du Nil. Ceux-ci suspectant celui-ci de leur confisquer la révolution. “C'est nous qui l'avons renversé, pas eux”, ont scandé les manifestants de la place Tahrir qui réclament le retour rapide à un pouvoir civil, le renvoi des responsables de l'ancien régime toujours présents dans de nombreux secteurs de l'administration et des actions en justice plus fermes contre ceux accusés de corruption et de violences. “Nous voulons un procès public pour Moubarak et les voleurs”, ont-ils également affirmé, doutant de la sincérité de l'annonce la semaine dernière par le gouvernement de transition d'un procès pour le dictateur. En outre, les acteurs de la seconde révolution dans le monde arabe tout de suite après celle de la Tunisie, exigent un changement dans le calendrier de la construction de l'Egypte post-Moubarak. Contrairement à l'armée, ils veulent une nouvelle Constitution avant les élections, pour instaurer un système parlementaire, le régime présidentiel conduisant dans les pays arabes à des dictatures avec des présidences à vie. L'armée, dans le feu de la révolution, avait concédé en mars dernier à de simples amendements à la Loi fondamentale en vigueur sous Moubarak. Ce climat de suspicion est aggravé par le jeu trouble des Frères musulmans, le mouvement, dit-on, le mieux organisé d'Egypte. Ces derniers ne manifestent plus que pour réclamer la reconduite de l'islamisation dans la nouvelle architecture de l'Egypte et semblent s'être rapprochés de l'armée au motif officiel que les exigences démocratiques de type universel risquaient de se traduire par des divisions entre le peuple et l'armée, ce qui serait préjudiciables au succès de la transition. Des élections législatives, pour remplacer un Parlement actuellement dissous, sont prévues en septembre prochain, mais la suite de la séquence politique, nouvelle Constitution, élection présidentielle, est encore floue en Egypte qui traverse depuis la chute de Moubarak de graves difficultés économiques : chute du tourisme et des investissements étrangers, hausse de l'inflation et du chômage notamment. Les Tunisiens ont les mêmes préoccupations. Après plusieurs semaines de spéculations, leur gouvernement de transition a affirmé mardi dernier qu'il comptait bien organiser fin juillet l'élection de l'Assemblée qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour le pays pionnier du Printemps arabe. Pas question de paraître vouloir s'accrocher au pouvoir ou de froisser une opinion publique impatiente d'élire librement les représentants de la Tunisie nouvelle, a expliqué le Premier ministre Béji Caïd Essebsi pour qui l'essentiel est de mettre fin à une situation peu claire qui pèse sur la sécurité et l'économie, avec une élection sans fraude, à défaut d'être une élection modèle. Le pouvoir de transition tunisien est peu crédible aux yeux des acteurs de la Révolution du Jasmin qui reste toujours prompte à redescendre dans la rue au motif qu'aucune des instances actuellement en place n'est légitime. La décision d'aller aux élections en juillet a été prise contre l'avis de la commission électorale, partisane d'un report du scrutin au mois d'octobre, pour se donner le temps d'organiser un scrutin transparent et démocratique.