J'ai toujours privilégié, peut-être par déformation académique et professionnelle, les démarches d'économie industrielle à celles de la macroéconomie. C'est pour cela que j'estime qu'il est utile d'ajouter aux travaux du forum d'Alger portant sur la grande problématique de l'autosuffisance alimentaire dans le monde et en Algérie, une réflexion plus spécifique sur le secteur agro-alimentaire national. En vérité, cette branche souffre des mêmes problèmes que ceux de l'ensemble du secteur industriel qu'il faudra traiter globalement. Il s'agira d'abord d'en identifier les plus importants pour les réduire. La tripartite du samedi 28 mai 2011 en a probablement fait sa priorité. De ce point de vue, l'"étude sur la compétitivité du monde arabe 2010" publiée avant le printemps arabe, par le World Economic Forum (WEF) est encore riche d'enseignements pour nous. Ainsi on peut y relever, s'agissant de l'Algérie, les trois principaux freins à la pratique des affaires sur les 16 indiqués. Par ordre décroissant de gravité il y a "l'inefficience de l'administration publique" (21,1 sur une base de 30), ensuite "l'accès au financement" (16,4 sur une base de 30) et enfin la "corruption" (13,8 sur une base de 30). Le traitement de ces trois contraintes améliorera assez rapidement notre indice de compétitivité globale en matière industrielle. Cela peut nous permettre alors de passer d'une économie tirée par les facteurs à une économie tirée par l'efficience, pour utiliser les concepts des auteurs du rapport du WEF. La dernière étape étant de devenir une économie tirée par l'innovation. Mais cela est une condition nécessaire mais non suffisante pour stimuler durablement la croissance industrielle. Car pour y arriver il faut, en plus de cet environnement favorable, que la branche industrielle concernée construise d'abord des capacités de recherche innovation et s'intègre ensuite dans les réseaux commerciaux et technologiques internationaux. Pour ma part, je pense que cela est déjà possible pour le secteur agroalimentaire et je vais vous dire pourquoi.D'abord, dans une économie globalisée fondée sur la connaissance, j'observe que les ponts entre ce secteur et la recherche innovation sont entrain de se construire pendant que ses réseaux technologiques et commerciaux se tissent progressivement, les 22 et 23 mai 2011. J'en veux pour preuve quatre exemples. Le premier est la tenue à Oran du congrès international de nutrition, les 22 et 23 mai 2011. Ce congrès tenu à l'initiative du laboratoire de nutrition clinique et métabolique(LNCM) et celui de physiologie de la nutrition et de la sécurité alimentaire (LPNSA) d'Oran a vu la présence active du groupe industriel agro alimentaire Metidji qui a exprimé sa volonté de "s'inscrire dans une stratégie qui place le consommateur et la qualité des produits au cœur de ses préoccupations". Mme Malika Bouchenak, directrice du LNCM, qui dispose d'un plan national de recherche(PNR) sur la prévention nutritionnelle en milieu scolaire souhaite y intégrer en amont les groupes industriels agro alimentaires.Autre exemple à l'est du pays. L'institut technique des grandes cultures(ITGC) de Baaraouia dans la ville d'El Khroub développe des "variétés de semences qui aient non seulement de rendement mais également une forte capacités de résistance aux maladies, au froid et à la sécheresse". Le troisième exemple est celui de l'initiative prise par le groupe Benamor agro alimentaire de Annaba d'organiser non seulement la filière mais aussi de se rapprocher des producteurs de céréales pour améliorer la qualité des récoltes que son groupe transforme en pâtes et couscous notamment. Enfin on peut relever le dernier accord de partenariat dans la filière lait entre une institution française de Bretagne et le groupe agro alimentaire blidéen SIM.Reste alors la question de l'accès aux marchés domestiques et internationaux. Il y a d'abord des erreurs à ne plus refaire si l'on veut gagner et maintenir des parts de marché à l'étranger. Par exemple la dernière interdiction brutale et inattendue d'exporter les pâtes et couscous, au motif d'un soutien financier des intrants, avait particulièrement nui à la réputation commerciale des entreprises algériennes de la branche et il faudrait du temps pour qu'elles s'en remettent. Ceci dit, le potentiel d'exportation de la branche existe et peut se concrétiser à une échelle industrielle. A titre d'illustration, Ismaël Chikhoune, responsable de la Chambre de commerce algéro-américaine, signalait la semaine dernière "que le programme américain prévoit une liste de 3400 produits agroalimentaires exemptes de taxes mais seulement une centaine ont été placés par les algériens". Pour ce faire, il faudrait construire la confiance avec les partenaires commerciaux en respectant les engagements commerciaux en qualité, en délais de livraison et en quantités. Cela est valable aussi pour le marché domestique car la compétition est féroce avec les produits agro alimentaires importés. A cet égard il serait intéressant de faire un sondage sur le niveau réel d'application par les réseaux de distribution algériens de l'obligation qui leur est faite de proposer à la clientèle un quota de produits agro alimentaires locaux. Pourtant ailleurs comme au Sénégal cela fonctionne. Ainsi dans ce pays 30% des PME ont pour activité la transformation des produits locaux. C'est à partir des positions acquises sur leur marché domestique que ces dernières arrivent à conquérir des parts de marché à l'étranger en se conformant aux exigences de qualité, de traçabilité et de sécurité alimentaires ainsi que de packaging. L'agence sénégalaise d'encadrement et de développement des PME (ADEPME) est passée à une étape supérieure. Elle propose aux entreprises des formations au système d'hygiène et de qualité requis pour toute importation dans l'Union européenne. Il s'agit du système "Hazard Analysis Critical Control Point" (HACCP) que les professionnels de la branche agro alimentaire connaissent bien. En conclusion, et pour toutes les raisons développées plus haut, je persiste et je signe : de toutes les branches industrielles, c'est le secteur agroalimentaire qui peut arriver le plus rapidement au dernier stade de développement car il est entrain d'une part de construire les instruments de son "efficience et innovation" et d'autre part de croiser dans un monde globalisé ses intérêts dans des partenariats internationaux féconds. Il suffit, à défaut de pouvoir l'aider, de le laisser faire.