Il a reçu le choc de sa vie, ce chauffeur de taxi le jour où il a entendu une passagère lui dire à sa descente de voiture “bka ala khir âmi” c'est-à-dire au revoir mon oncle. Non pas que le propos lui ait déplu, au contraire il est une marque de courtoisie et de respect mais parce que cette cliente avait l'âge de sa mère. Il s'est longtemps demandé si cette auguste s'était même rendu compte au moins de l'énormité de sa bêtise. Qu'une femme soit coquette est une chose mais qu'elle fasse endosser aux autres sa propre senilité en est une autre. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le sujet, dans une ville où le dialogue inter-générationnel ne se limite qu'à deux couleurs, les cheveux blancs et les cheveux noirs. Les Oranais font un complexe des cheveux poivre et sel, particulierement ceux des autres. Ils n'ont du reste que ce mot à la bouche tant l'âge les obsède et les rend ridicules, comme s'il constituait une ligne rouge qu'il ne faut jamais depasser. Explication d'un phénomène qui prend l'allure d'une tare indélébile . S'il vous arrive par exemple de doubler un automobiliste, pour peu qu'il soit imberbe et accompagné d une femme, vous êtes sûr d'avoir droit à un “doucement pépé” ou “reste à la maison chibani, au lieu de faire le clown” S'il vous arrive de plaisanter ou de dire une blague, vous êtes sûr qu'il se trouvera un jeune plus jeune que les autres qui vous fera remarquer qu'à votre âge, on évite de débiter ce genre de futilités. S'il vous arrive au contraire d'élever le ton et de sortir de vos gonds, il se trouvera toujours quelqu'un parmi les badauds pour vous demander de vous calmer et de respecter votre âge… S'il vous arrive enfin de refaire les comptes de votre marchand de légumes qui a du mal à maîtriser sa table de multiplication, vous pouvez mettre la main au feu qu'il vous servira. Ce morceau vous avez toujours l'impression qu'on vous vole vous les vieux et si 3 fois 150 ne font pas six cent, tout le monde peut se tromper, ce n'est pas la fin du monde … Bref, si vous voulez être un bon chibani à Oran, doux, arrangeant et débile à l'occasion, un conseil. Ne roulez pas vite, ne doublez personne, ne plaisantez pas, ne vous énervez pas, ne recomptez jamais vos factures, laissez-vous vous faire gruger et vous verrez que vous aurez le droit au respect de tous les chibanis qui sont entrés dans le moule et qui ont depuis longtemps baissé les bras… tant qu'il ne s'agit que de baisser les bras…