Quatre mois après les premières manifestations qui ont agité son pouvoir, Mohammed VI s'engage à se dessaisir d'une partie de ses pouvoirs au profit d'un Premier ministre aux prérogatives renforcées. De la poudre aux yeux, selon le Mouvement du 20 février et une partie de l'opposition. Le roi du Maroc a annoncé la réduction de ses pouvoirs dans le cadre d'une réforme constitutionnelle très attendue dont il a présenté les grandes lignes dans un discours à la nation vendredi. Cependant, Mohammed VI ne lâche pas l'essentiel de son pouvoir. Si sa réforme renforce quelque peu le Premier ministre et le Parlement, son statut religieux de monarque et son rôle de chef de l'Etat, de l'armée et de la diplomatie de son pays, demeurent intacts. De ce point de vue, son changement n'est que de la poudre aux yeux. D'ailleurs, lui-même l'a avoué en déclarant que son projet vise à terme à “consolider les piliers d'une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale”. En fait, le monarque a surtout exhorté ses sujets à voter massivement lors du référendum convoqué le 1er juillet prochain. Selon le projet de réforme de la Constitution, le Premier ministre aura le titre de chef du gouvernement, il ne sera plus nommé selon la volonté du Palais mais sera issu du parti arrivé en tête des législatives et pourra dissoudre la Chambre des représentants, la Chambre basse du Parlement. Une première dans le monde arabe, même si le projet obéit à de multiples arrière-pensées que nous développerons plus bas. C'est une revendication que peinent à voir exhaussée les Tunisiens, initiateurs du printemps arabe, et les Egyptiens qui les ont immédiatement suivis, après avoir fait tomber Ben Ali et Moubarak, luttent ardemment pour instaurer une démocratie qu'ils souhaitent parlementaire pour tirer un trait définitif sur les dictatures des chefs d'Etat providentiels. Reste à vérifier demain si le Premier ministre marocain prendra réellement les rênes de l'exécutif ? Car, à vrai dire, c'est sous la contrainte que Mohammed VI a pris cette mesure de partager son pouvoir. Il s'agit d'une des revendications des manifestations qui se déroulent dans le royaume depuis le mois de février, à l'instar, mais, sans violences, de ce qui s'est passé dans d'autres pays du Maghreb ou du Moyen-Orient. Le 9 mars, le roi avait promis des réformes politiques pour répondre aux attentes des manifestants. Une commission pour élaborer des réformes a été mise en place ce même mois sous la présidence du juriste Abdeltif Menouni. Les observateurs auront remarqué que trois mois s'étaient écoulés sans qu'il y ait le moindre acte politique important au Maroc ! “On a poussé la patience jusqu'au bout”, a souligné Lahcen Daoudi, le président du groupe parlementaire du Parti Justice et Développement, un parti islamiste, plus que jamais en embuscade. Une partie de l'opposition reste sceptique car, selon elle, “octroyée”, la réforme de la Constitution a été conduite selon une méthode antidémocratique, contrairement à ce qu'a affirmé Mohammed VI dans son discours de vendredi. Elle a été élaborée en “catimini”, sans réelles concertations et sous le cadrage strict du conseiller politique du roi, accusent des opposants. La commission ad hoc chargée de la préparer était, selon eux, composée essentiellement d'hommes et de femmes dont la loyauté était acquise au Palais royal. Pour les organisateurs du Mouvement du 20 février, la démarche s'est fondée entièrement sur une classe politique qui n'était pas demandeuse de changements révolutionnaires. Le PJD avait, par ailleurs, relevé que la commission a refusé aux chefs de parti un accès au projet en cours d'élaboration, se résignant au final à leur laisser vingt-quatre heures pour apporter leurs remarques. Le roi s'est donc donné tout le temps pour promettre également que la langue amazighe sera considérée comme langue officielle au même titre que l'arabe. Les dispositions générales reconnaissant l'amazigh comme langue officielle répondent à une revendication historique des régions du nord. Quant à la liberté de la presse ou à la justice indépendante des pouvoirs exécutif et législatif, il faut savoir que la Constitution marocaine actuelle garantie déjà sur le papier un certain nombre de ces droits et libertés sans qu'ils soient réellement mis en œuvre. Ainsi que l'interdiction de la torture et l'atteinte à l'intégrité physique des citoyens. Enfin, si le roi ne sera plus sacré, sa personne sera inviolable, ce qui signifie en clair que ses actes ne pourront pas être jugés. Il conservera le statut de commandeur des croyants. La réforme du roi marocain aura été également fortement sollicitée par ses alliés occidentaux, la France et les Etats-Unis particulièrement, même si, dans la région, les deux puissances sont en compétition. Paris, le parrain de toujours, est obsédé par la chute du roi, considéré comme le pion stratégique de ses menées et visées dans le Maghreb et sa profondeur qu'est le Sahara sahélien. Washington, plus pragmatique, est surtout intéressé par l'exemple que pourrait constituer le Maroc pour la démocratisation des royautés et principautés du Golfe arabe, à commencer par l'Arabie Saoudite, leur chef de file. Washington a, par ailleurs, applaudi lorsque le Maroc a intégré, il y a moins de deux mois, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), le syndicat des monarchies arabes et le contrepoids de la moribonde Ligue arabe.