Par Pierre Haski | Rue89 | 10/03/2011 | 12H33 Le roi a prononcé un discours en faveur de la démocratisation du pays, agité par des protestations contre les inégalités. Les manifestations marocaines n'ont pas connu l'ampleur des protestations tunisienne ou égyptienne ; mais elles ont néanmoins suffi à alarmer le roi Mohammed VI qui a annoncé, dans un important discours prononcé mercredi, une réforme constitutionnelle, la première en une décennie sur le trône. Dans un discours solennel, entouré de son fils et de son frère, il a en particulier annoncé un futur référendum populaire sur une réforme de la Constitution marocaine, et promis que le Premier ministre aurait désormais des pouvoirs « exécutifs », une première dans ce royaume où tout est dirigé par le Palais royal, cet univers décrit par un seul mot connu de tous au Maroc : le « Makhzen ». Le roi n'a fait aucune référence au mouvement de protestation au Maroc et dans le reste du monde arabe, mais son discours était clairement une tentative de réponse à la demande de monarchie constitutionnelle des manifestants marocains, qui ont lancé un nouveau rendez-vous pour le 20 mars. Mohammed VI a annoncé une décentralisation accrue, une « gestion démocratique des affaires de la région », et a promis que le Maroc allait s'engager sur la voie de la « séparation et l'équilibre des pouvoirs », une demande des protestataires. Cela passe, a-t-il dit, par : « La consécration du statut du Premier ministre en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement. » « Elargissement du champ des libertés » Dans son discours, Mohammed VI fait une promesse plus globale : « La consolidation de l'Etat de droit et des institutions, l'élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice, ainsi que le renforcement du système des droits de l'homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement. » (Voir la vidéo du discours en arabe, sa traduction française ici.) Si on prend ces déclarations au pied de la lettre, c'est l'amorce d'une monarchie constitutionnelle et la fin du contrôle exclusif du Makhzen sur toute la vie institutionnelle marocaine. Jusqu'ici, en effet, tout remontait au Palais et les ministres n'avaient aucun pouvoir réel, tandis que le Parlement ne jouait qu'un rôle symbolique, après des élections sans doute plus libres qu'ailleurs, mais dont le résultat était savamment concocté au Palais… Dans Le Monde du 19 février, à la veille des premières manifestations, Abdellah Hammoudi, professeur d'anthropologie à l'université de Princeton, expliquait la vision des protestataires : « Les voix qui s'élèvent pour réclamer pacifiquement, mais de façon décisive, les réformes indispensables, le font aujourd'hui parce qu'elles ont perdu espoir dans la capacité du régime marocain, tel qu'il est actuellement, à trouver les solutions adéquates a ces problèmes. Raison essentielle : l'absence de démocratie véritable, avec un Parlement et des assemblées élus dans la transparence et les garanties légales nécessaires. La racine de cette carence se trouve dans une Constitution imposée, qui refuse l'essentiel des pouvoirs au peuple pour les concentrer entre les mains de l'institution monarchique. » C'est à ces critiques que semblait répondre mercredi Mohammed VI. Injustice et inégalités au Maroc Le Maroc se croyait pourtant différent au moment des premiers soubresauts du monde arabe, en raison de l'enracinement de sa monarchie comparée aux dictatures tunisienne et égyptienne, et du relatif assouplissement des libertés publiques depuis la mort du père de Mohammed VI, le roi Hassan II, un autocrate qui a cruellement réprimé ses opposants. Mais l'ampleur des inégalités sociales, la richesse personnelle de la famille royale, et un système politique sclérosé avec des élections totalement vidées de tout sens, ainsi qu'une jeunesse très présente sur les réseaux sociaux, sont des ingrédients communs avec le reste du monde arabe, expliquant la mobilisation relativement importante. Les mesures préventives annoncées par le roi, sous la forme de promesses de démocratisation, suffiront-elle vraiment à empêcher le mouvement de prendre de l'ampleur ? Premier test : le 20 mars, à l'occasion de la nouvelle journée de manifestations.