Le directeur général de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie a lancé un cri d'alarme : 300 000 consommateurs dont 42 000 toxicomanes “suivis”. Il lui faudra du courage pour continuer à s'impliquer dans ce combat, malgré la “passivité” qu'il dénonce de la société, car Sayah est un ancien et remarquable magistrat qui connaît certainement l'état de cette société. Et l'état de l'Etat. Peu de monde s'alarmera réellement de l'invasion des stupéfiants, sinon les parents qui se sentiront directement menacés dans la santé de leurs enfants et les services de répression qui feront ce qu'ils pourront. L'Etat et la société sont occupés à pourchasser l'alcool, les prostituées, la pratique “clandestine” d'autres religions et les “casseurs” de ramadhan à l'occasion. Cela fait plus pieux de combattre la consommation d'alcool, bien plus explicitement rejetée par la religion et les prêcheurs et parce qu'elle suppose des débits ayant pignon sur rue, “narguant” la sensibilité puritaine de nos belles âmes. Les autorités s'occupent de fermer les locaux suspects et les bons citoyens s'emploient à importuner ces amateurs d'ivresse qui polluent leur saint environnement pour les pousser hors des espaces sociaux. En Algérie, c'est l'histoire politique qui façonne la morale sociale. À une époque, on a bien égorgé des Algériens parce qu'ils avaient fumé. On n'est pas encore sorti de ce système qui s'arroge le pouvoir de dicter aux citoyen jusqu'à ses convictions les plus intimes. Aujourd'hui “converti” à l'intégrisme pour cause de “réconciliation”, le pouvoir a cédé à l'islam politique la prérogative de régir, par l'inquisition de voisinage et celle qui s'exerce jusque sur la voie publique, la société. Les vigiles islamistes, des “émirs” dans les zones reculées jusqu'aux caïds religieux de quartier en passant par les “repentis” et les quidams de rue qui veillent à la vertu de nos filles, dictent “la” morale aux habitants du coin. Ils traquent, par diverses méthodes, tout ce qui contrarie le projet uniformisant de leurs lointains et proches parrains, projet caractéristique des velléités fascisantes : soumettre toutes les dissemblances de mode de vie pour standardiser une société non plus d'individus, mais de masses. D'une masse si possible. Et l'Etat, désormais acquis à ce dessin, va jusqu'à en faire sous-traiter sa mise en œuvre par ses institutions. Elles peuvent dénicher deux manœuvres qui boivent… de l'eau dans un chantier au mois de ramadhan, mais éprouvent des difficultés à traquer la zetla. La société n'est pas “passive” ; elle est terrorisée, Monsieur Sayah. La drogue est discrète et ne gêne pas l'image vertueuse que l'intégriste lui réclame. Elle fuit les lieux de liberté, comme les bars, proclamés lieux de débauche par un Etat réformé à l'islamisme. Dans ce domaine, comme dans la consommation courante, on voit bien que c'est l'affairisme islamiste qui construit notre modèle de distribution et de consommation ! Le diktat du marché informel en est la preuve éclatante. On peut fermer les yeux, mais on ne peut pas prétendre en même temps résorber le marché, parce qu'il y a bien une offre qui crée la demande, de la drogue. Ce fléau, c'est une question de choix politique, de choix de société. M. H. [email protected]