Entre optimisme et scepticisme, les spécialistes de la question se contentent de donner les points forts et les faiblesses du marché du travail. Même ceux communiqués par le Cnes ne peuvent refléter une réalité beaucoup plus préoccupante. C'est, du moins, ce qu'on peut retenir du grand débat de spécialistes, organisé hier par le Forum d'El Moudjahid, sur l'évolution du marché du travail en Algérie. Mettant en avant la mise en place des dispositifs devant réguler ce marché, Mohamed-Tahar Chaâlal, DG de l'Agence nationale de l'emploi (Anem), donne les axes principaux du plan adopté par l'Etat, à savoir l'appui apporté à l'investissement, la promotion de la formation qualifiante, la politique d'incitation, l'amélioration et la modernisation du travail, et la promotion de l'emploi des jeunes. Des points devant, à moyen terme, permettre une meilleure maîtrise de ce volet qui ne cesse de provoquer, à l'exemple des habitants de Hassi-Messaoud, des émeutes un peu partout dans le pays. À ce propos, le dg de l'Anem a tenu à rappeler qu'il s'est déplacé lui-même dans la région de Ouargla où il a pris langue avec les demandeurs d'emploi, suite à quoi il a été décidé la création d'agences d'emploi au niveau de plusieurs daïras. Connu pour son franc-parler, l'expert économiste et consultant international, Malek Seraï, rappelle les deux alertes dangereuses liées au marché du travail. Il s'agit de celle de 2007 qui a abouti à la réunion du président de la République avec les P/APC et la seconde qui date du début de cette année avec un soulèvement populaire qui a contraint l'Etat à prendre des mesures en faveur notamment de l'emploi des jeunes. Pour l'économiste, cette dernière alerte permet déjà d'enregistrer des atouts majeurs, comme la croissance nationale (notamment en ce qui concerne les diplômés, ce qui constitue une nouvelle donne), la liaison obligatoire entre l'université et les entreprises, l'évolution du développement de la formation professionnelle, l'engagement politique par un budget conséquent de l'Etat, situation politique stable, baisse de la natalité avec moins de mariages (11 millions de jeunes en âge de se marier mais qui retardent leur mariage), modification des comportements dans l'emploi marquée par une présence importante de la femme sur le marché du travail. En revanche, ce dernier reste, selon le conférencier, l'otage de certaines pratiques, comme la problématique de l'insertion née de la globalisation avec son lot de fermetures de dizaines d'unités industrielles et, par voie de conséquence, la perte de centaines de milliers d'emplois, la faiblesse des IDE (les étrangers ont très faiblement investi), l'extrême prudence du gouvernement (beaucoup de projets potentiellement créateurs d'emplois ont fait l'objet d'hésitations par manque de consultations, de malentendus ou, carrément, de stratégie, la transition de l'économie nationale et ses effets pervers ordonnée directement ou indirectement par les instances internationales comme le FMI et dont certaines mesures ont conduit à la perte pour les Algériens de plus de 460 000 emplois. De même, ajoute le conférencier, la réforme des entreprises imposée par la restructuration industrielle n'a pas permis de créer le nombre d'emplois escompté. “Comment peut-on parler de vision lointaine, quand on apprend que le Parlement parle d'autorisation d'importer de la fripe. Personnellement je suis chiffonné. L'Algérie, pays de plus de 160 milliards de dollars de réserves de changes, se place au même niveau que le Bangladesh ou le Zimbabwe, pour ne citer que ceux-là. A-t-on pensé aux conséquences sur la santé et tout ce que cela va coûter comme dépenses en médicaments et traitements ? C'est en contradiction avec la loi de finances complémentaire et au moment où l'industrie du textile et du cuir est en discussion. On nous annonce que l'importation du chiffon va créer 22 000 emplois. Je dirais que créer des entreprises permettrait de multiplier ce chiffre par dix fois, sinon plus”, commente l'économiste. Dans un autre registre, M. Seraï s'insurge contre le travail des enfants qui prend de l'ampleur. Abordant le sujet de l'Ansej, il fait constater que le dispositif coûte cher à l'Etat. Pointant du doigt le marché informel, il fera remarquer qu'il n'y a aucun contrôle sur ce secteur et qu'il est temps de l'organiser. Pour sa part, le représentant de l'Association des entrepreneurs algériens, M. Selmane, pose la problématique du manque de main-d'œuvre qualifiée dans le secteur du BTP pour la réalisation notamment des 2,4 millions de logements à la charge du ministère de l'Habitat à l'horizon 2017. “Nous serons contraints de faire encore appel à la main-d'œuvre étrangère dans ce domaine, à moins que le secteur de la formation professionnelle puisse d'ici là, nous l'espérons d'ailleurs, fournir les besoins exprimés.”