En 1999, l'un de mes tout premiers articles au sujet d'Internet portait précisément sur cette notion de régulation, et mon tout premier article, publié sur le Net, en janvier 2000, évoquait précisément le comité de censure pour réguler le net australien. Plus de 10 ans plus tard, l'Australie peine toujours à filtrer le Net, & la France vient de la rejoindre dans la liste infamante des pays “placés sous surveillance” par Reporters sans frontières (RSF)... Dans le même temps, la “révolution Facebook”, incarnée par le printemps arabe, la “révolution Twitter”, vue en Iran notamment, puis avec l'affaire DSK, sans oublier ce qui se passe du côté des blogs depuis 10 ans, ont démontré que nous assistons bel et bien à une “révolution” : les pouvoirs constitués ne sont plus les seuls à avoir le droit non seulement de s'exprimer... mais aussi et surtout d'être entendus. La “révolution”, dont il est question, a débuté il y a bien longtemps maintenant. Et je me plais à penser, porté par l'optimisme d'Eben Moglen, pionnier de la défense des libertés sur le Net, que les internautes ont d'ores et déjà gagné : les pouvoirs constitués ne pourront plus nous faire taire... & le Net aura probablement un impact similaire à la libération sexuelle & aux révolutions post-68... autant s'y faire. A la différence de la Révolution française, ou de la conquête du Far West, nul besoin de tuer quelque aristrocate ou Indien que ce soit : ceux qui s'expriment ne colonisent ni ne tuent rien ni personne... ils se contentent de (re)prendre leurs places, celles de citoyens qui revendiquent leur droit à s'exprimer. Liberté d'expression pour tous Jusqu'à l'arrivée de l'Internet, la liberté d'expression restait l'apanage d'une certaine oligarchie de “personnalités publiques” (politiques, médiatiques, culturelles, intellectuelles, “people”...). Avec le Net, et sur le Web, tout un chacun peut désormais en faire usage : paradoxalement, c'est sur cet espace “virtuel” que la liberté d'expression est devenue quelque chose de bien “réel” : l'oligarchie qui pensait (et pense encore) qu'elle est seule à avoir le droit de s'exprimer, et que le peuple n'a que le droit de se taire, d'acquiescer, et d'accepter, va devoir s'adapter. Internet permet d'établir un rapport social horizontal, où les citoyens se retrouvent entre eux à traiter d'égal à égal. Tout le contraire de la démocratie représentative, verticale par excellence, où l'accès à la parole publique est conditionné par notre élévation dans l'échelle médiatique, politique voire universitaire. Le site article XI (qui, dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 édicte que “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi”) est régulièrement repris en “une” de l'excellent Portail des copains (rezo.net). L'an passé, ses animateurs ont franchi le Rubicon en décidant d'en créer un journal, papier, dont la maquette, toute en longueur, et illustrée (photos, dessins, typos) comme nulle part ailleurs, est magnifique, tout simplement. Plus de frontières grâce au net La façon dont s'exprime cette parole n'est pas réellement importante. Nous sommes passés des pages personnelles aux blogs, des blogs à Twitter et Facebook. Et ça évoluera encore d'ici peu. Ce perpétuel renouvellement importe peu : seul compte le fait que la machine soit lancée ; il n'est désormais plus possible de l'arrêter. Les gens vont continuer à s'exprimer en masse. Sur le Net se trouvent les ressorts de la création de nouveaux espaces qui vont – je l'espère – permettre de corriger ce que notre société a de si déprimant. Juste une illustration : il n'y a pas de frontières sur Internet. Ça n'existe simplement pas. Je ne sais pas dans quelle mesure cette ouverture des frontières sera emblématique du nouveau monde, mais je pense qu'on peut travailler à ça. Qu'on peut faire évoluer les choses – en espérant que, par capillarité, cette absence de frontières s'étende à l'espace physique. Le Net est un espace où il y a tout à faire, à construire. Avec cet immense avantage : contrairement à la conquête du Nouveau Monde au XIXe siècle par les Américains, il n'y a pas besoin de tuer des Indiens. Mieux : tu ne tues pas les Indiens, tu en crées ! C'est un univers en expansion, sans limites physiques. Et quand le nombre d'adresses IP2 disponibles arrive à saturation, pas de problème : il suffit d'en créer de nouvelles... Les hackers nous protègent de la surveillance Je comprends tout à fait que des gens veuillent détruire les machines quand celles-ci les asservissent. Et je comprends tout autant qu'un certain nombre de gens soient persuadés – ils ont peut-être raison – qu'on va droit dans le mur façon “Minority Report”3. Mais ce qui m'intéresse c'est de trouver le moyen de détourner ces mêmes machines, pour qu'elles nous rendent service plutôt que de nous rendre esclaves. Le truc est là. De mes premiers rapports avec le Net, j'ai retenu ceci : on peut se protéger si on le désire. Je sais, par exemple, que mes mails peuvent être interceptés ; partant, je connais des moyens de me protéger de cette écoute. J'ai d'ailleurs produit plusieurs textes sur le sujet, pour dire et redire combien les solutions à mettre en place pour protéger son ordinateur et pour se protéger sur le Net n'ont rien de très difficiles ou techniques. En clair, je n'ai pas besoin de détruire les satellites de la NASA parce que je sais comment passer à travers les mailles du filet quand j'en ai envie. Les luddites n'avaient pas le choix ; moi, je l'ai. Et si je l'ai, c'est en grande partie grâce à ces hackers qui ne cessent de développer des moyens d'échapper à la société de surveillance. Je pourrais te citer le cas de ce type ayant conçu des casquettes munies de leds ultra-violettes, pour aveugler les caméras et rendre la vidéosurveillance inopérante. Ou te mentionner cette possibilité de fabriquer de fausses empreintes digitales, à l'aide d'une variante de gélatine. Récemment, deux Coréennes ont été arrêtées alors qu'elles essayaient d'entrer au Japon avec de telles fausses empreintes ; qu'elles aient été attrapées signifie que – vraisemblablement – d'autres ont réussi à passer avec le même procédé. (*) Jean-Marc Manach est journaliste, il écrit dans internetactu.fr, Owni.fr et tient un blog sur lemonde.fr (Bugbrother.blog.lemonde.fr), il est aussi formateur en journalisme d'investigation sur Internet. Dans ce billet daté du 13 juillet, Jean-Marc Manach revient sur le spectre de la censure d'Internet que brandissent désormais des pays “dits” démocratiques.