Aujourd'hui, dans le monde berbéro-arabo-musulman, les cris des jeunes dans la rue sont révélateurs d'une grande mutation sociale et morale et d'une nouvelle conscience politique. Les jeunes ne veulent plus risquer leur vie dans les eaux profondes de la Méditerranée pour avoir le droit à la justice sociale fondée sur le droit à la liberté d'expression et à l'égalité sans distinction autre que le mérite. Ils revendiquent fortement le droit à la dignité de la personne humaine et du citoyen, le droit à un Etat démocratique où tous les individus sont des citoyens égaux. Ces valeurs morales et civiques modernes auxquelles ils adhèrent, ils ne veulent plus les réclamer sous d'autres cieux ; ils veulent les vivre chez eux. Cependant, beaucoup se posent encore la question de la légitimité de ces revendications chez eux où l'Islam est la religion dominante. Cette question est suscitée par la notion d'égalité sans discrimination, qui est aussi une égalité entre les femmes et les hommes et entre tous les citoyens sans aucune distinction de culture, de race ou de couleur. Elle est suscitée aussi par la liberté d'expression, qui est la liberté d'exprimer son opinion au sujet du politique, du social mais aussi du religieux. Elle est surtout suscitée par les musulmans qui pensent que la sphère juridique dans le domaine du social et du politique ne peut exister en dehors de la charia, la sacralité de celle-ci demeurant un tabou même si un grand nombre d'intellectuels n'en sont plus convaincus aujourd'hui. Or, dans la charia, telle qu'elle est établie par les juristes, les discriminations entre les femmes et les hommes fondent les critères de justice. De longs discours les justifient encore aujourd'hui. La liberté d'expression dans le domaine du religieux est conditionnée et restreinte par les limites du convenu sous peine d'accusations de mécréance. Toutefois, n'est-il pas évident que ce n'est pas le convenu qui rend l'idée vraie de même que ce n'est pas le jugement qui rend la chose juste, tout comme n'est pas nécessairement juste la chose justifiée ? L'esclavage et l'oppression sont-ils des pratiques justes au titre qu'elles ont été présentées comme telles par certains grands penseurs de l'humanité ? Tel Aristote, qui a déclaré que l'esclavage n'est pas immoral car certaines personnes sont naturellement esclaves. La démocratie antique n'excluait-elle pas les femmes et les esclaves de la vie politique sans que cela ne choque qui que ce soit ? Des docteurs et des juristes musulmans n'ont-ils pas posé les lois qui règlementent l'esclavage sans exprimer la moindre exécration à son égard ? Il aura fallu attendre le XVIIIe siècle pour que les droits de l'être humain soient explicitement formulés. Leur but le plus important est la préservation de la dignité humaine contre toute forme d'assujettissement, d'asservissement ou de discrimination. La démocratie comme système politico-social moderne a pour objectif la préservation de ces droits, même s'il faut noter que l'humanité n'a pas encore achevé son évolution vers l'égalité et la dignité humaine. On se demande si la manière dont la charia a été élaborée par les anciens, ne s'inscrit pas dans la culture des Arabes des premiers siècles qui ont hérité des valeurs de leur temps. On se demande si les discriminations entre les hommes et les femmes ne sont pas les reliques d'une pratique ancestrale justifiée par la domination du fort sur le faible. L'une des façons les plus simples de savoir si un acte est juste ou pas et d'aiguiser notre sens de la justice, est de se mettre à la place de l'autre. Le bien est ce que nous acceptons pour nous comme nous l'acceptons pour les autres. Les gens ne réalisent souvent l'immoralité d'un acte que s'ils en sont eux-mêmes victimes. Comment expliquer que les discriminations que nous imposons aux autres, nous ne les acceptions pas pour nous-mêmes ? Comment expliquer que les hommes, qui considèrent comme justes les discriminations à l'égard des femmes et ne veulent rien céder de leurs privilèges ancestraux, deviennent-ils de fiévreux partisans de l'égalité des droits entre hommes et femmes quand il s'agit de leur propre fille et, notamment, quand celle-ci a eu un parcours universitaire brillant qui fait la fierté de son père ? L'Islam est avant tout une foi. Le devoir de tout musulman est de ne jamais commettre ce qui va à l'encontre de sa foi. Le premier principe de la foi consiste à croire en l'existence d'un Dieu unique et parfait. Aucun défaut ne peut émaner de lui et il est impossible qu'on lui attribue une quelconque injustice. L'injustice est une imperfection dans l'organisation de la société, un défaut dans la maîtrise de soi et une déviation de la conscience morale. Attribuer cette imperfection à Dieu, c'est croire qu'un défaut peut émaner de lui, l'être parfait ; c'est se contredire avec la foi et avec soi-même. Ainsi, la cohérence avec la foi nous met dans l'impossibilité de croire que les imperfections dans nos lois ou dans notre organisation sociale puissent émaner de Dieu car “Dieu n'est pas injuste envers les gens” (Sourate 10 verset 44) R. A.