Le refus du droit à la différence et l'injustice sont les facteurs qui menacent la liberté des citoyens et des peuples. Après maints projets de l'ancienne administration qui visait à liquider toute forme de résistance du monde musulman, plus d'une année après, le président américain Barack Obama n'a pas atteint le seuil du changement en ce qui concerne les relations entre le monde musulman et l'Occident. L'Europe semble coincée entre sa politique de Voisinage à sens unique et le projet problématique de l'Union pour la Méditerranée. Le dialogue de sourds est total. La crise est mondiale et les intérêts économiques priment sur les valeurs morales et éthiques. L'esprit colonial continue à souffler sur les relations internationales. Le contrôle des sources d'énergie et le refus de pratiquer le droit et l'équité sont les traits de la situation internationale actuelle, malgré les discours de bonne intention. La politique de la canonnière, toujours Ce qui se passe en Palestine et la question du nucléaire en Iran reflètent bien le fait que la politique de la canonnière n'est pas révolue. Dans quelle sorte de monde sinistre est-on en train de vouloir nous précipiter, alors que le devenir est commun? Alimenter l'idée que le musulman est le nouvel ennemi, créer des partis politiques fondés sur le seul slogan anti-Islam, interdire la construction de minarets, lancer un débat sur l'identité nationale en visant l'Islam, tout comme refuser de manière obsessionnelle l'entrée de la Turquie dans l'UE, et faire la guerre avec cynisme à des populations musulmanes dans plusieurs pays de l'Orient, généralisent un amalgame fondé sur la haine de l'autre. Racisme d'un côté, réaction fanatique de l'autre mettent en danger l'avenir. Les musulmans, diabolisés, sont assimilés à des extrémistes incapables de vivre avec les autres. Situation qui ressemble à l'atmosphère préfascisante du siècle dernier. Les discours islamophobes, les actes de profanation des mosquées et des cimetières sont des signes avant-coureurs, tels qu'on a pu les voir dans les années 30 dans l'Allemagne nazie. L'extrême droite européenne s'est construite depuis des décennies sur l'hostilité par rapport aux musulmans et ce mouvement est en train de déborder pour faire diversion aux impasses morales et économiques. Depuis de nombreuses années, je ne cesse d'appeler au dialogue et d'alerter sur les risques que des idéologues font courir au monde, avec l'invention d'un «nouvel ennemi» sous la figure du musulman stigmatisé. Pour ceux habités par l'ignorance, il est toujours plus facile de diaboliser les couches les plus vulnérables de la société, la nouvelle minorité dans la Cité et de refuser le dialogue, que de faire face aux réalités. Les pseudos-«nouveaux philosophes» pyromanes ou les «théoriciens» de la politique américaine, chassent sur le terrain des extrêmes droites; tous participent à la construction de l'idée suicidaire d'ennemis supposés saper l'«identité» occidentale et alimentent les préjugés sous toutes leurs formes contre les musulmans. La guerre, intérieure contre les «mauvais européens», extérieure contre «les autres», semble s'installer. La diversion l'emporte sur la raison. La mise en place du G20 est l'arbre qui cache la forêt. Les grandes puissances semblent se contenter de gérer au jour le jour, une situation nuisible pour tous, alors qu'elles sont censées prévenir l'avenir en termes de prospectives. Entre l'Orient et l'Occident, le vivre-ensemble est-il possible? Alors que malgré des moments de conflit, durant des siècles ce fut possible et fécond, en ce XXIe siècle le monde dominant, celui des pays du Nord, ne veut pas partager la prospérité, ni reconnaître le droit à la différence, ni revoir les règles qui régissent le rapport entre les Nations, profitant des faiblesses et incohérences des pays du Sud qui prêtent le flanc. Pour éviter des lendemains dramatiques, il ne reste qu'une solution, engager des négociations proches à celles qui ont prévalu durant les années quatre-vingts entre l'Est et l'Ouest. Il n'y aura ni paix, ni stabilité, ni civilisation communes dans le monde sans un accord entre l'Orient et l'Occident. La difficulté réside dans l'ignorance et la méconnaissance, aggravée par le fait de vouloir imposer un seul point de vue pour asseoir l'hégémonie. Il y a un recul de l'intelligence, de la connaissance de l'altérité, de l'universalité des valeurs, dont l'Europe intellectuelle hier pouvait s'honorer, sous la figure de grands savants et penseurs du discernement, lucides et critiques constructifs, comme hier Louis Massignon, Henri Corbin, Jacques Berque, Louis Gardet, Jacques Lacan, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jacques Derrida, Gérard Granel, Pierre Bourdieu. Aujourd'hui, la voix de philosophes et chercheurs éclairés comme celle de Pierre Legendre, Jean Luc Nancy, Edgar Morin, Jean Bauberot, Vincent Geisser, René Major, Alain Badiou, Emmanuel Todd et celle de théologiens et prêtres, d'évêques soucieux de justice, n'est pas assez entendue. Mais on ne doit pas s'abandonner à la lassitude. Il est possible d'engager des luttes à contrecourant de l'air du temps, à partir de solidarités transfrontalières. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer le caractère inique des relations internationales, le sort des discriminés, mais aussi de changer un mode de représentation ancré dans la subjectivité collective. La société occidentale qui se veut source des Lumières peut intégrer les différences, mais des politiciens et des fossoyeurs du vivre- ensemble veulent lui faire croire que les musulmans cherchent à imposer un changement des paramètres fondamentaux de son modèle. Il suffit de voir la montée de l'islamophobie et les conditions déplorables de vie des musulmans européens pour se rendre compte que les idéologies xénophobes influent. Pourtant, les citoyens musulmans, pour la plupart, sont des citoyens loyaux, paisibles, dignes de ce nom, ne remettent pas en cause le pacte civique, marquent une adhésion sans faille au régime républicain. L'Islam, deuxième religion en Europe est présent dans l'espace européen depuis longtemps et fait partie du paysage sociologique. Qui peut nier qu'il y a un Islam européen séculier, attaché, entre autres, à l'humanisme et à l'amitié islamo-chrétienne? Ce qui signifie que le vivre-ensemble est possible. Le citoyen musulman ne refuse pas le partage, l'intégration dans la vie sociale et économique et la saine participation à la vie politique, là où ils sont possibles. Les régimes politiques archaïques et le rigorisme, de pays arabo-musulmans, qui sont l'anti-Islam, résultat des contradictions de notre temps, sont outrageusement mis en avant pour faire croire que c'est cela les musulmans. La distinction cardinale entre «Islam» et «islamisme» est ignorée. Les extrémistes et les obscurantistes représentent un dévoiement de l'Islam. Dans un monde occidental qui s'est construit contre la religion, la crainte de l'extrémisme se transforme en un rejet de l'Islam. C'est d'autant plus choquant, que les prétendues pommes de discorde comme: l'idée de la non-confusion entre le spirituel et le temporel et la liberté de conscience sont conformes à l'esprit et à la lettre de l'Islam. Le problème n'est pas uniquement celui du politique. Il est celui, de la norme fondamentale, de l'origine des règles de la conduite humaine, dans des domaines essentiels, la morale, la famille, la communauté. La désignification du monde est un problème. Ceux qui ont des règles de vie tentent de garder vivantes ses valeurs. Reste à ce qu'elles soient vécues de manière ouverte et non fermées. Il est compréhensible que des citoyens européens s'inquiètent des excès des croyants fermés, mais l'amalgame et la politique des boucs émissaires sont inadmissibles. Il est légitime que les croyants puissent exercer démocratiquement leur mode de vie et leur foi dans des conditions dignes. Certes, des paroles d'apaisement des officiels sont entendues comme «une République laïque qui doit protéger l'ensemble des cultes» et doit «condamner à la fois l'islamophobie et l'islamisme radical». Cependant, le musulman est un bouc émissaire, otage de calculs qui exploitent l'air du temps pour faire diversion. Les êtres justes, doivent faire barrage à l'intolérance et au repli identitaire. Trop d'inégalités Le refus du droit à la différence et l'injustice sont les facteurs qui menacent la liberté des citoyens et des peuples. Il y a trop d'inégalités. Dans les zones urbaines défavorisées en Europe, près de 40% des hommes jeunes sont au chômage, soit le triple de la moyenne nationale. L'injustice est flagrante, l'inconscient collectif les a relégués dans ses zones d'ombre inquiétantes. Il y a en Europe des millions de citoyens de confession musulmane qui y sont nés. Leurs grands-parents ayant émigré depuis plus d'un demi-siècle, pour répondre aux besoins économiques et démographiques de la terre d'accueil, ont contribué au développement, vivent avec des salaires de misère, accablés par un climat xénophobe et des lois répressives qui marginalisent et enferment dans des zones de non-droit. Ce sont eux que des discours haineux visent comme n'étant pas vraiment européens. Cette posture politique de la diversion est immonde, elle contredit les principes des Lumières. Travaillons au contraire au vivre-ensemble. Alors que des courants xénophobes et conservateurs prônent la poursuite de la logique honteuse de la discrimination et de la guerre coloniale sous des formes nouvelles, l'Europe peut être un phare et existerait vraiment au niveau mondial si elle pouvait prouver qu'elle est capable à la fois de bâtir des sociétés où l'interculturel et le droit à la différence sont respectés et qu'elle peut construire un rapport juste et civilisé entre l'Occident et le Monde musulman. Rien ne semble présager de ce sage chemin. Notre travail est d'expliquer à tous qu'il n'y a pas d'alternative au vivre-ensemble. Informer de façon simple et concrète, en s'en tenant aux faits, les opinions publiques comprendront et feront pression pour rouvrir l'horizon.