J'ai longtemps rêvé de rencontrer Chérif Hamia, boxeur mythique qui s'est effondré en 1957 au Veld'hiv à Paris devant le Nigérian Hogan Kid Bassey qui ne lui arrivait pas à la cheville. L'enjeu ? La couronne mondiale. Et Hamia était alors champion d'Europe et la terreur des rings. Nul ne lui résistait jusqu'à la fin du temps réglementaire. Et celui qui tenait sur ses jambes durant tout le combat était emmené à la fin à l'hôpital complètement sonné. Puncheur, styliste hors pair, on l'appelait alors baby face. La jet-set parisienne des années cinquante était folle de lui. Les femmes de la haute se pâmaient sur son passage oubliant l'Algérien pour le champion qui leur donnait de si délicieux frissons. Et même la jeune Juliette Gréco, brune à séduire le diable lui-même, aurait bien aimé lui chanter en tête-à-tête une romance qui finira en, en? On ne dira pas plus pour ne pas effaroucher les jeûneurs que le moindre mot rappelant l'amour pourrait choquer. Ne parlons pas de Gilbert Bécaud, faux dur, fasciné par un vrai de vrai. Et même Belmondo qui avait le nez épaté était épaté par Chérif. Le voici donc en ce 24 juin devant Hogan Kid Bassey. Toute la presse française et mondiale le donnait vainqueur. Baby face ne va faire qu'une bouchée de son adversaire. Mais patatras ! Si au deuxième round Hogan est envoyé deux fois au tapis, frôlant le KO, à partir du huitième, il va faire la danse du scalp autour de Hamia soudainement absent pour obliger l'arbitre à arrêter le combat au dixième. Stupéfaction dans le monde entier. Goliath vaincu par David. Mais quoi, comment expliquer l'inexplicable? La presse de l'époque se perd en conjectures de toutes sortes : sorcellerie, syphilis, envoûtement... Autant donner sa langue au chat. C'est ce mystère que je voulais comprendre. J'ai vainement cherché à contacter Hamia, en pure perte. 30 ans plus tard, en 1987, par un bel après-midi d'un été algérois lumineux, Hamia lui-même me donne l'explication : “J'ai perdu car le FLN de France me l'avait demandé pour ne pas hisser le drapeau français.” Et il laissa couler quelques larmes qui détonnaient sur ce visage dur marqué par les coups du sort plus que ceux des boxeurs. Il ne restait du fameux baby face qu'un petit vieux ratatiné. La gloire en boxe est une chrysalide qui ne se transforme en joli papillon que pour mourir. Il me parlera de son fils assassiné à la rue Tanger, de ses infortunes, de sa descente aux enfers, de sa dépression nerveuse après sa chute devant Bassey. Il en voulait aux hommes de ce pays de l'avoir laissé tomber, lui qui n'a jamais trahi, lui qui a défendu haut la main l'honneur des indigènes. À la fin de l'entretien, à ma grande stupéfaction, il me demanda de lui payer l'interview. J'en restais sans voix. J'en parlais à mon red chef de l'époque, Kheiredine Ameyar, qui fut d'autant plus sonné qu'il avait une admiration sans limite pour le boxeur. Il était aussi peiné que moi de cet horrible décalage de Hamia avec la réalité. L'ex-champion croyait qu'il était au fait de sa gloire en France et que sa parole valait encore son pesant d'or ! La mort dans l'âme, je dis à Hamia que notre journal ne paie pas les interviews. Visage fermé, il me répondit : “Alors pas un mot de moi dans ton journal !” Je ne publiais donc son interview qu'après son décès trois ans plus tard. Mais j'avais son explication sur sa déroutante défaite. Quelques jours plus tard, un ex-responsable du FLN de France me donnera l'antithèse : “À ma connaissance, personne ne lui a donné pareille instruction. Bien au contraire, on lui aurait demandé de gagner et de hisser le drapeau algérien.” Fabulateur Hamia ? Le responsable nuancera ses propos : “Cependant, il est du domaine du possible que Chérif ait pu être abusé par des personnes se réclamant du front” Un pas en avant avec Hamia, un pas en arrière avec ce responsable. Le mystère Hamia demeure. Il me reste de ce grand champion au cœur tendre l'image d'un homme fracassé qui est passé à côté de sa vie. Il aurait aimé être cet homme qui passe, anonyme parmi les passants. Et non ce champion qui ne gagne sur les rings que pour perdre dans la vie. H. G. [email protected]