Celui qui est considéré comme le penseur du siècle de la pensée islamique pour son renouveau et son réformisme n'a pas été assez prolixe en littérature coranique. Seulement un ouvrage à ma connaissance portant le thème “Le phénomène coranique”, mais assez critique à l'égard des exégètes ayant marqué la période de la décadence de la pensée islamique, derrière la chute et la décadence du monde musulman, rattrapé puis dépassé par la civilisation judéo-chrétienne sous l'emblème général de la civilisation dite occidentale moderne. Lorsqu'il évoque cette dernière, ce n'est pas en termes de haine et de guerre, mais dans un respect de l'autre en lui reconnaissant les mérites. Loin de lui l'idée des chocs des civilisations, développés bien plus tard après lui par des pseudo-penseurs occidentaux qui cachent une haine abjecte de tout ce qui n'est pas occidental à leurs yeux. Il était favorable aux dialogues des civilisations dans le respect de l'autre avec ses particularités et ses richesses. Personnellement, j'avais eu la chance et l'immense plaisir de le connaître de près et de suivre ses activités à la fin de sa vie en étant encore jeune lycéen. En effet, je découvre l'homme pour la première fois au cours des travaux du séminaire sur la pensée islamique qu'organisait avec grand succès le ministre des Affaires religieuses d'alors, un certain Mouloud Aït Belkacem, lui-même un grand monsieur de la pensée islamique avec des cultures très vastes et très profondes avec la participation d'éminents penseurs du monde entier. J'ai eu la chance aussi, une fois devenu étudiant, de fréquenter son cercle intime, où il donnait des cycles de conférences en ouvrant sa maison aux étudiants et aux intellectuels et ce jusqu'à sa mort en 1973. Il laissa ainsi de nombreux adeptes. Des noms de penseurs illustres C'est là aussi que je découvre, un peu jeune, les professeurs de gros calibre comme Jacques Berques, le Marocain Allel El Fassi, l'Egyptien Ahmed Amine et le poète de la révolution Moufdi Zakaria. Et d'autres. Il y avait un climat propice pour une vraie réforme, en y faisant participer la crème de par le monde dans le domaine de la pensée islamique et de la réflexion en général. Les initiateurs de ce mouvement porteur doutaient-ils de ce qui allait découler par la suite, particulièrement chez nous avec le virage à 160 degrés et produire exactement l'effet inverse de ce qui était souhaité avec l'apparition de vastes mouvements intégristes ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez, en voulant récupérer les bonnes idées à des fins politiciennes par des procédés dépassés. Restons dans le domaine de la réflexion et de la pensée. Les hommes s'en vont. Les bonnes idées restent en balayant les autres et leurs prétentions. En particulier de l'initiateur de la “Promesse majeure” face à la “Promesse mineure” et le combat continue entre les deux depuis que le monde est monde. Par cette fenêtre que le penseur Bennabi scrutait l'évolution du monde et prévoyait ses projections futures avec la conviction que la première devait l'emporter logiquement à condition de remplir certains critères. Malek Bennabi a fouiné dans la longue histoire des civilisations en général et celle musulmane en particulier en se fixant sur la période phare du décollage de la civilisation musulmane avec sa vision de la vie, sa particularité et son ouverture, ce qui lui a permis d'atteindre l'apogée en seulement moins de trois siècles dans tous les domaines en dominant le monde et la civilisation universelle. Sans pleurnicher sur la décadence, mais en tenant compte des causes qui l'ont provoquée, l'histoire peut-elle se répéter ? Oui, nous dit l'un des grands visionnaires du siècle dernier. Nullement impressionné par les immenses progrès technologiques de l'Occident dont la civilisation, à but foncièrement matériel, renferme en elle-même les germes de sa propre chute. C'est à comparer avec les crises cycliques du capitalisme développé avec succès par le fondateur du marxisme, toujours d'actualité. Dans cette civilisation matérielle, l'homme, le moteur et la finalité, est négligé malgré les apparences dans ses dimensions spirituelles et temporelles. Bref, il avait touché à tout en écrivant dans l'économie, la pédagogie, la sociologie, la philosophie et dans le domaine qui nous concerne ici, l'exégèse, avec une minutie d'ingénieur comme il est de formation et une logique cartésienne implacable qui font école. Le phénomène coranique Il avait vu juste en y jetant un regard critique, pas amène vis-à-vis des auteurs qui ont dévié de la ligne des compagnons et des vrais prédécesseurs qui s'attachaient à la tradition, mais qui étaient très ouverts et très entreprenants. Dans son ouvrage “le phénomène coranique”, il adresse une critique acerbe aux ulémas du Machrek qui, au lieu de se concentrer sur un vrai réformisme permettant de réaliser la promesse majeure dans les meilleures conditions, continuaient le processus entamé des siècles auparavant par la négation de l'effort et de l'Ijtihad et de l'ouverture. Il était ainsi un farouche adversaire des adeptes du wahabisme et des courants intégristes qui foisonnaient déjà, incapables de proposer un modèle de société moderne et enracinée. Il faut lire aussi son écrit de lecture comparée de sourate Youcef, mettant en avant son architecture et la beauté du style et la profondeur du meilleur des récits. Plusieurs décennies plus tard, l'histoire lui a entièrement donné raison en étant ainsi l'un des premiers à appeler à une autre lecture du texte sacré, notre première source d'inspiration, emprisonnée sous le carcan de la médiocrité et de l'ignorance. Comme nous sommes inondés de masses de discours creux et fallacieux paraissant dire juste ! En hommage à ce grand homme, nous présenterons une relecture de cette sourate merveilleuse qui a inspiré et continue d'inspirer les meilleurs auteurs dans toutes les langues. Pour imiter Jacques Berque, comme sourate El Forqane, elle renferme aussi une symétrie, entre l'homme éprouvé par les difficultés un moment et par l'aisance de la vie un autre. Voilà ce qui fait son charme. (À suivre) S. B. E mail : [email protected] Prochain article : le meilleur des récits, écrit de la meilleure des façons