Le Ramadhan est diversement observé à Oran par les jeûneurs qui, chacun selon son goût, lui attribue une ambiance singulière. Car, si le mois de Ramadhan est synonyme de piété et d'assiduité religieuse, il n'empêche que pour une large couche de la société, ce mois demeure “sacrément particulier”. La métamorphose spectaculaire opérée dans les us et coutumes des consommateurs passe sans transition. “Figurez-vous que les jeûneurs qui ne font pas la prière les autres jours de l'année s'y appliquent durant ce mois-ci”, affirme un imam. La forte présence de ses ouailles aux prières de l'Icha et des tarawih le réconforte. Mais ils sont nombreux à tomber dans les “tentations et les pêchés mignons”, comme expliqué par un sociologue. “Une importante composante de la société veut accomplir les recommandations divines tout en se donnant le temps de se divertir. C'est endémique en ce mois”, affirme notre interlocuteur. C'est d'abord une entrée télévisée qui met en concurrence féroce les chaînes satellitaires arabes pour se départager un public friand des feuilletons religieux ou à l'eau de rose. “Cette année, ce ne sont pas moins de quarante séries tout autant différentes qui font leur entrée dans les foyers algériens”, souligne un responsable de l'ENTV locale. Cette forme de loisirs est surtout prisée par les familles au revenu modeste, dépourvues de véhicules, plutôt conservatrices ou franchement pantouflardes. “Je préfère passer la soirée avec ma famille après l'accomplissement des tarawih”, affirme Mokhtar, un sexagénaire retraité. Les télévisions satellitaires arabes ont compris les enjeux commerciaux et financiers qu'ils peuvent tirer en rivant des millions de téléspectateurs à leurs feuilletons et émissions de variétés de prédilection. Vu sous l'angle de la bienséance spirituelle, le mois de Ramadhan peut aussi être synonyme de désinvolture pécuniaire. Pour une certaine catégorie de la société, il faut se munir de beaucoup d'argent et aller flâner du côté des bars et autres cafés de la ville qui se convertissent en lieux de jeux de hasard. Les longues parties de dominos et les jeux de cartes constituent l'essentiel de l'ambiance des invétérés du bingo. Les bars et les restaurants de la ville se transforment en “casino”. En effet, le bingo, à titre d'exemple, est devenu le jeu le plus affectionné à Oran. “Ce jeu consiste à pointer des nombres sur une planchette et espérer que la roulette désigne les numéros gagnants”, nous explique cet inconditionnel du bingo. Des sommes d'argent faramineuses changent de mains, subrepticement, dans ce jeu de hasard où le propriétaire (organisateur) de l'établissement bénéficie, quant à lui, d'un rondelet pourcentage fixé au préalable. Les véritables mordus du bingo prennent littéralement d'assaut les tables de jeux quelques instants seulement après le f'tour. Les parieurs ne les quittent alors plus jusqu'à l'appel de la prière du Fedjr. “C'est le jeu, on a ça dans le sang. On n'y peut rien, même si nous savons que nous serons vertement tancés à la maison car sur le tapis, il faut savoir miser gros quand on est sûr qu'on a des chances de gagner gros ou de perdre gros. Certes, c'est de la folie, mais on doit faire avec”, résume stoïquement un joueur de poker. Cette accoutumance ne fait pas perdre de vue les joyeuses sorties des familles qui préfèrent retrouver le lustre d'antan d'El-Bahia à Akid-Lotfi, un quartier situé à l'est de la ville devenu, en ces pesantes soirées d'été ramadhanesques, la nouvelle destination “tendance” des Oranais, volant ainsi la vedette au symbolique Front de mer et au centre-ville en matière d'animation nocturne. La nuit, le boulevard appelé communément “Dubaï” se différencie par ses palmiers et ses carrés de gazon, au milieu d'une esplanade fourmillant de monde. Cette artère piétonnière semble détrôner le fameux “balcon d'Oran”, avec ses lumières chatoyantes, son jet d'eau fantasmagorique, ses enseignes commerciales multicolores, ses magasins de luxe feutrés, ses restaurants cossus, ses stands de produits artisanaux et ses diverses attractions qui font le bonheur des promeneurs. “C'est un endroit parfait pour décompresser après une journée de jeûne”, a souligné avec enthousiasme un père de famille. Cette animation nocturne commence avec l'arrivée des jeunes et des familles entières pour trouver une véritable atmosphère de fête foraine spontanée, notamment avec la présence des vendeurs de pop-corn et de sorbets. Pour les plus traditionnels flâneurs, une kheïma est dressée au cœur de cet espace pour siroter un verre de thé “sahraoui” ou encore s'offrir une glace. “C'est un plaisir de s'attabler dans en décor exotique dans un cadre familier et enchanteur”, révèle une famille du sud du pays en compagnie de ses enfants. Pour elle, cet endroit “n'a rien à envier” aux sites balnéaires de la Corniche oranaise pour les balades noctambules. Les enfants y trouvent également leur bonheur en faisant la queue, avec leurs parents, pour prendre “Bouyouyou”, le fameux train touristique qui, à lui seul, est la principale attraction. Ce train à pneumatiques tire son nom d'un train à vapeur qui a cessé de siffler en 1949, après avoir longtemps relié Oran à la commune thermale de Hammam Bouhadjar sur 70 km. Le boulevard “Dubaï”, apprécié, estimé et aimé, mérite d'être pris en charge en matière de programmation culturelle. Ils sont nombreux à penser à juste titre à l'utilité d'une scène pour des spectacles de rue. Cette défaillance de la part des autorités locales a probablement incité des jeunes à improviser des concerts de karkabou et de derbouka pour réjouir la foule enthousiasmée.