L'intellectuel n'a pas de place et/ou de statut dans notre pays, car cela “fait partie du dogme de l'Algérie indépendante”. Nos auteurs n'arrivent pas à vivre de leur travail d'écriture… “C'est un exercice difficile que de prétendre tirer le portrait de quelqu'un qui le fait avec brio chaque dimanche sur Liberté. Sa technique peut sembler, au premier abord, accessible, mais cela est faux tant il est dur quand ce n'est pas laborieux d'arriver à percevoir un détail, à lever une anomalie fut-elle physique”. C'est avec un préambule taillé sur mesure qu'Abrous Outoudert (directeur de la publication de Liberté) a débuté la modération de la rencontre avec l'auteur et journaliste Hamid Grine, jeudi à 22h, à la librairie du Tiers-Monde. Ses chroniques dans Liberté sortiront bientôt dans un recueil. Son dernier livre un Parfum d'Absinthe (éditions Alpha) sera édité en France. À ce propos, il a déclaré qu'il a “sucré” tout un chapitre avec une certaine légèreté. Une décision prise — suite à l'avis de son éditeur — sans regret, car la suppression dudit chapitre n'altère en rien le déroulement de la trame. D'où le besoin d'un auteur d'être “toujours corrigé” pour avancer dans son travail d'écriture. C'était également l'occasion pour lui de mettre plus de lumière sur ce qu'il lui a été reproché par nombre de personnes sur la problématique de son roman : “Quelle a été la position des écrivains algériens à l'époque coloniale ?” “J'ai lu ces écrivains et je n'ai pas vu beaucoup d'engagement ; ce n'est pas une critique mais un constat”, a-t-il déclaré. “Cet engagement” était perceptible chez “Jean Sénac et Jean Elmouhoub Amrouche qui ont rompu avec Camus pour la cause algérienne”, a-t-il ajouté. Abordant le succès de ses livres, il a affirmé que cela est dû au travail de l'éditeur et surtout des libraires. “Tous mes livres ont été bien vendus et ce n'est pas grâce à la presse”. Pour lui, en matière de livres, “c'est le libraire qui fait l'opinion” chez les lecteurs. En outre, à propos du statut de l'écrivain en Algérie, M. Grine affirme que cela est “mal parti depuis l'Indépendance. Car ce ne sont pas les intellectuels qui ont pris le pouvoir”. Que l'intellectuel n'ait pas de place et/ou de statut dans notre pays “fait partie du dogme de l'Algérie indépendante”, d'où la résultante suivante : les auteurs algériens n'arrivent pas à vivre de leur travail d'écriture. Il a également déploré que “nos intellectuels ne se soient pas prononcés sur le conflit arabe” avec des contributions dans les médias. La cause ? Certains “jouissent de quelques privilèges et se font discrets de peur de les perdre. L'élite algérienne est otage des privilèges”, explique-t-il. Un peu plus virulent, il confie que cette force d'inertie est partagée, “entre l'auteur et les gens”. Ces derniers, avoue-t-il, “régissent de manière agressive et insultante par rapport aux écrits”. Comme l'a déclaré William Shakespeare : “La faute est en nous.” Rebondissant sur cette affirmation, le modérateur de la rencontre Abrous Outoudert a déclaré que “les anciens intellectuels ne sont pas affranchis ; les vrais sont ces jeunes qui n'ont pas de censure et qui feront la cassure et la différence”. Pour ce faire, il faut un statut non pas seulement des écrivains mais de tous les artistes. Et ce ne sont pas tous qui font l'unanimité ? “Mon drame c'est que je sors un livre par an et cela pose problème aux autres”. Et d'ajouter : “Chaque fois qu'un intellectuel fait quelque chose, d'autres le critiquent sans avoir même lu son œuvre. Dans un autre registre, celui qui ne souffre d'aucune censure – sauf celle morale qu'il s'impose — a eu un constat amer sur l'Union des écrivains algériens qui souffre d'un double problème de crédibilité : institutionnel par rapport à son “appartenance au système” et de celui qui la dirige. Et de conclure la rencontre sur un autre constat : “Tout travail quel qu'il soit mérite le respect, ce qui n'existe pas en Algérie. On admire celui qui vole, viole et qui fait la rapine.”