À l'initiative du président français, Nicolas Sarkozy, et du Premier Ministre britannique, David Cameron, soixante délégations se sont retrouvées jeudi à Paris pour planifier l'après-Kadhafi en Libye, et se sont donné le nom des Amis de la Libye. Outre les trente pays et organisations qui composent le Groupe de contact, on relèvera la présence de la Russie qui fait désormais partie de 70 pays reconnaissant le CNT, de la Chine qui, sans franchir le pas de la reconnaissance, reconnaît “le rôle considérable du CNT dans la résolution de la crise libyenne” et de l'Algérie, qui pose ses conditions pour ce faire. L'absence de l'Afrique du Sud a été tout aussi remarquée, ce pays estimant que l'Otan est sortie du cadre de la résolution 1973 en Libye et a largement outrepassé son mandat. Deux décisions importantes sont sorties de la rencontre : l'Otan continuera d'intervenir en soutien aux forces anti-Kadhafi et 15 milliards de dollars d'avoirs libyens gelés en Occident seront remis immédiatement aux dirigeants du CNT. De même les sanctions qui frappent des dizaines d'entreprises libyennes seront levées. En contrepartie, les dirigeants occidentaux exigent du CNT une feuille de route claire et l'engagement d'instaurer la démocratie, la stabilité et la réconciliation dans le pays meurtri par 42 ans de dictature et profondément divisé par six mois de combats meurtriers et incertains. “Les participants vont demander au CNT d'engager un processus de réconciliation et de pardon pour que les erreurs faites dans d'autres pays dans le passé nous servent de lumière”, a notamment déclaré le président français à l'issue de la réunion. Si la reconstruction de la Libye était au centre des débats, en coulisses les couteaux s'aiguisaient déjà en perspective des prochaines batailles pour l'attribution des marchés et le contrôle du pétrole libyen. De ce point de vue, alors que la promesse présumée du CNT d'attribuer 35% de ce pétrole à la France fait déjà polémique, Nicolas Sarkozy a incontestablement tiré son épingle du jeu et il est fort à parier que l'Hexagone se taillera la part du lion dans le juteux marché de la reconstruction du pays. En tout cas, si cette rencontre a en quelque sorte scellé la chute du régime de Kadhafi, Paris est aussi apparu comme le passage obligé vers Tripoli et Nicolas Sarkozy entend, plus que jamais, mener la danse. Pourtant, malgré les promesses et les engagements du CNT quant à l'édification d'une Libye démocratique, les craintes d'une dérive islamiste sont réelles, surtout lorsqu'on sait que le premier article de la feuille de route du CNT, qui servira sans doute de base à la prochaine Constitution, précise que le droit libyen découlera de l'application de la chari'a. Sans compter la présence au sein même du CNT de toute la palette des islamistes allant des plus modérés aux plus radicaux et celle, sur le terrain des combats, de chefs militaires importants dont les accointances avec feu Ben Laden et Al-Qaïda sont avérées et assumées. Le CNT a aussi obtenu le droit de décider du sort du dictateur déchu et de son entourage, s'ils venaient toutefois à être capturés vivants. En effet, le colonel Kadhafi et deux de ses fils restent introuvables et Syrte, l'un des derniers bastions fidèles à Kadhafi, semble prête à vendre chèrement sa peau. D'ailleurs, au moment même où l'on décidait de son sort et de celui de la Libye à Paris, la télévision d'Etat syrienne diffusait un message du dictateur déchu. “Nous ne nous rendrons pas. Nous allons poursuivre le combat”, a-t-il déclaré, avant d'avertir les insurgés et leurs soutiens en les invitant à se préparer “à la guérilla, à la guerre urbaine et à une résistance dans chaque ville”. Peu avant lui, c'est son fils Seïf Al-Islam qui s'est manifesté en promettant aux insurgés que la prise de Syrte ne serait pas “une promenade de santé” pour eux.