Cette manifestation, qui s'est déroulée sans incident, a été l'occasion pour les centaines de personnes qui ont marché de dénoncer “les bavures militaires récurrentes” en Kabylie. Un seul slogan, une seule banderole, une seule marche, et la population de Fréha aura démontré, malgré l'arsenal de manipulation et de propagande déployé, sa détermination à ne pas accepter de taire ce qu'elle qualifie d'“abominable exaction militaire contre un civil désarmé qui rentre chez lui après avoir assisté à une veillée funèbre d'un voisin”. Environ 1 500 personnes, peut-être même un peu plus, ont répondu dans la matinée de jeudi dernier à l'appel à la marche lancé par la Coordination des comités de village de Fréha pour, à la fois, réclamer que justice soit rendue à Kaci Zahia, cette femme de 55 ans qui, suite une bêtise d'un militaire, a laissé 14 orphelins derrière elle, et surtout exiger la délocalisation des casernes militaires de la ville de Fréha. Il n'était que 9h30 lorsque les habitants de la ville et de toute la région commençaient à converger vers le point de départ de cette marche prévue à 10h. Alors que des groupes de personnes continuaient à y affluer, un rassemblement s'était déjà formé dans l'endroit même où Zahia Kaci avait rendu son dernier souffle, dimanche dernier. Les plus curieux cherchent les traces de sang pendant que d'autres tentent de mesurer la distance entre le point où Zahia est tombée et la guérite, désertée par la sentinelle aujourd'hui, et d'où les rafales ont été tirées. Il est 10h, les membres de la famille Kaci, habitant une modeste demeure en contrebas de la caserne, arrivent. Aussitôt, ils sont invités à la tête de la marche. Une immense banderole noire sur laquelle on pouvait lire “Délocalisation des casernes de la ville de Fréha” est déployée. La marche s'ébranle sous un soleil de plomb. La foule, silencieuse, se dirige vers le centre-ville. Les appels au calme et à la sagesse fusent à travers un mégaphone tenu par un des membres de la famille Kaci, visiblement inquiet quant à d'éventuels débordements. La tension est palpable mais la situation est bien maîtrisée. Le cordon de vigilance, composé de villageois et déployé tout autour des marcheurs, laisse deviner à la fois l'effort d'organisation fourni par ses initiateurs et la crainte qui entourait la manifestation. Devant la principale caserne dont la délocalisation est exigée, la foule observe une minute de silence. A fur et à mesure que la foule avance, les rideaux des magasins sont baissés. L'appel à la grève générale durant la marche est massivement suivi dans toute la ville. A 10h40, la foule, toujours silencieuse et calme, mais digne et déterminée, arrive devant l'entrée principale du siège de l'APC de Fréha, au centre-ville. De la benne d'une camionnette sur laquelle il est monté, un membre de la cellule de crise remercie, au nom de la famille Kaci et des comités de village, tous ceux qui ont répondu à l'appel à la marche et qui ont exprimé leur solidarité et soutien à la famille de la victime. Le mégaphone a été ensuite passé à Kaci Tahar, le beau-frère de la victime, qui a tenu à remercier, lui aussi, la population pour sa sagesse, tout en ajoutant, sous un tonnerre d'applaudissements, que “l'exigence de la population est la délocalisation des casernes de la ville de Fréha et le retour des terrains qu'elles occupent à leur vocation agricole” et que “le combat se poursuivra jusqu'à l'aboutissement de cette revendication”. Une fois la prise de parole achevée, la foule se disperse dans le calme et la ville de Fréha reprend vie.