Les registres du commerce loués qui permettent d'échapper au fisc entraînent des pertes de recettes énormes pour le Trésor, susceptibles de réaliser des dizaines de milliers de logements et de créer des dizaines de milliers d'emplois supplémentaires annuellement. “Le système fiscal algérien, malgré l'évolution réalisée, reste peu performant”, estime le premier responsable des impôts dans une intervention faite lors de la rencontre “Fiscalité citoyenne ou économie informelle” organisée par le Forum des chefs d'entreprises à l'hôtel El-Aurassi le 9 avril 2003 dernier. Les ressources ordinaires sont faibles et ne sont pas en mesure de financer les dépenses de fonctionnement de l'Etat, les prévisions pour 2003 font apparaître que les recettes ordinaires ne peuvent financer que 68,6% des dépenses de fonctionnement de l'Etat (hors charges communes). Cette situation s'explique, nous dit-on, par les insuffisances de l'administration fiscale actuellement en pleine mutation et la forte propension à la fraude et à l'évasion fiscale à la faveur de la libéralisation des activités et du commerce extérieur et de l'intégration du marché mondial. Les procédés les plus courants sont la non-facturation, la facturation fictive, le système du prête-nom, la location du registre du commerce, la procuration donnée par un titulaire de registre du commerce à une tierce personne pour exercer en son nom une activité commerciale, la minoration des déclarations, le cadrage des bilans, le développement du marché informel, l'incivisme fiscal prononcé, les sacrifices consentis de recettes pour plusieurs années par les textes dérogatoires évalués à près de 50 milliards de DA. Dernièrement, les cadres de l'administration fiscale, réunis, à l'hôtel Riadh de Sidi-Fredj, dans le cadre de la conférence annuelle, reconnaissent l'existence d'une fraude “à grande échelle” générée par des registres du commerce loués. Pis, ce document, nécessaire à l'activité commerciale, est devenu l'instrument principal par lequel la collectivité nationale perd de l'argent, détrônant ainsi la vente sans facture. “Nous avons fait un examen de la situation d'un certain nombre d'opérateurs économiques, producteurs, importateurs et grossistes, exerçant dans quatre secteurs d'activité. Une part importante, environ 60%, du chiffre d'affaires réalisés par ces opérateurs, se fait en direction des personnes ayant loué des registres du commerce et qui ne payent aucun dinar à l'Etat”, soutient M. Saïdani, responsable de la direction recherche et vérification. L'enquête a porté sur 33 opérateurs, 20 du secteur privé et 13 du public, qui ont réalisé globalement un chiffre d'affaires de 66 milliards de DA en 2001. 755 clients de ces opérateurs ont été sélectionnés. Ils (les clients) ont acheté pour plus de 20 millions de DA. Sur les 755 clients, 476 sont “totalement” défaillants. La majorité d'entre eux a loué un registre du commerce. Mohamed Abdou Bouderbala, directeur général des impôts, souligne, dans la même communication, le développement et le renforcement du secteur privé. “La contribution de ce secteur à la formation du revenu national a été de plus en plus importante”, précise-t-il. Hors hydrocarbures, la valeur ajoutée de ce secteur représente près de 60% de la richesse nationale. Le renforcement du secteur privé s'est traduit par un accroissement significatif de la population fiscale entre 1992 et 2002. La population fiscale a quadruplé durant cette période. Cependant, sur le plan fiscal sa contribution à la formation des ressources publiques reste de faible portée. Les formes d'organisation les plus répandues sont la forme individuelle (personnes physiques, sociétés de personnes) et les sociétés à responsabilité limitée (Sarl et Eurl). On dénombre 803 767 entrepreneurs individuels, commerçants, artisans et prestataires de services, dont 530 923 sont au régime du forfait. Il existe 22 317 sociétés, dont 19 565 Sarl et Eurl. Ces contribuables exercent pour plus de 80% de leur nombre dans le commerce, l'importation, l'artisanat et les prestations de services. 35 000 importateurs (personnes physiques et sociétés) ont été recensés. Le ministère du Commerce, de son côté, a recensé plus de 65 “zones commerciales” qui échappent complètement au fisc. Les services des impôts, pour démontrer le pourquoi de l'impuissance de l'administration fiscale à juguler les courants de fraude, évoquent le dépôt de 2 044 plaintes sur quatre ans. Seuls 285 jugements ont été rendus. Le délai moyen de traitement de la plainte est de 27 mois. Un délai jugé extrêmement lent. Du coup, la justice et les services du ministère du Commerce sont interpellés. Selon Bouderbala, les opérateurs du secteur privé ont contribué en moyenne durant ces trois dernières années pour 0,6% du PIB en matière d'impôts sur les revenus et bénéfices. Comparativement aux pays voisins où l'imposition des revenus et bénéfices est de 6,1% au Maroc, 5,7% en Tunisie, 3,6% en Egypte. M. R.