Le modèle turc veut s'exporter dans les pays du printemps arabe. La Turquie veut étendre son influence dans les pays arabes et au-delà, sur toute la sphère musulmane. C'est le sens de la tournée du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, en Egypte, Tunisie et Libye. Ces trois pays ayant franchi un pas décisif dans le printemps arabe, en se débarrassant de leur dictature, Ankara cherche à s'y replacer en relançant sa coopération avec leurs nouvelles autorités respectives. De fait, la Turquie d'Erdogan, qui a le vent en poupe, aussi bien en interne que sur la scène internationale, est en train d'adapter sa diplomatie à cette nouvelle configuration que dessine le printemps arabe. Le Premier ministre s'est rendu en Egypte, Tunisie et Libye, avec 250 chefs d'entreprise. Les trois pays nord-africains ont déployé sous ses pieds le tapis rouge. Accueilli partout avec chaleur, Erdogan que les Turcs ont reconduit cet été pour la troisième fois d'affilée, a constaté de visu la popularité de son régime auprès des sociétés arabes. La nouvelle politique turque à l'égard d'Israël a joué un rôle important dans l'estime vouée à Ankara. Erdogan a, en quelque sorte, lavé le déshonneur et les humiliations qu'ont fait subir les dirigeants arabes à leurs populations dans le dossier des Palestiniens. Alors que la Ligue arabe s'était toujours couchée devant les provocations israéliennes, le soutien inébranlable que leur accordent les Etats unis et la complaisance de la communauté internationale, Ankara, pourtant lié avec Israël par un faisceau d'accords dont celui stratégique au plan militaire, ne s'est pas contenté d'un simple coup de gueule. Les accords avec son voisin sont gelés et la campagne pour la reconnaissance de l'Etat de Palestine par l'ONU menée par les Turcs est plus audible que les voix des membres de la Ligue arabe. Le discours d'Erdogan devant la Ligue au Caire a été le plus pertinent et le plus direct sur cette question. Pourtant, Ankara reste très lié à Washington -qui ne veut pas entendre d'Etat palestinien tant qu'Israël ne lui a pas donné son feu vert- ne serait-ce que parce que la Turquie est une pièce maîtresse de l'Otan. La fermeté d'Ankara sur cette question a redoublé l'empathie des sociétés arabes à l'égard du modèle islamique turc. Le débat sur la démocratie musulmane en vigueur en Turquie bruit surtout auprès de la Tunisie, l'Egypte et à un degré moindre, en Libye, les trois en pleine transition. Le sujet est monté en puissance depuis la chute du président tunisien Ben Ali, en février dernier. Le principal parti islamiste tunisien (Ennahda de Ghannouchi) avait à l'époque affirmé prendre pour modèle le parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie depuis 2002. Le parti des Frères musulmans égyptiens tient un discours similaire depuis la chute du président Hosni Moubarak. La Turquie représente “la troisième voie” dans les pays arabes, estiment la plupart des analystes et journalistes dans ces pays bloqués par un demi-siècle de pouvoir autoritaire qui s'étaient tous réfugiés derrière le fonds de commerce qu'a constitué l'islamisme radical et violent avec la bénédiction et la protection de puissances occidentales. La nouvelle Turquie est effectivement une success-story avec sa démocratie assez proche des standards internationaux et surtout son économie florissante parce que libre et ouverte dont les retombées sont visibles même au sein des laissés pour compte. La Turquie d'Erdogan s'est imposée comme la sixième économie européenne et comme un pôle régional de stabilité, avec une croissance à 8 % en 2010 et un record mondial au premier trimestre 2011 (11 %). Moins de pouvoir autoritaire, avec le démantèlement du système traditionnel de tutelle militaire, un gouvernement fondé sur des élections libres et transparentes et un progrès partagé : voilà en résumé la clef de l'ascension de l'AKP et l'une des principales sources d'inspiration pour les pays arabes en transition. Erdogan a déclaré au Caire et à Tunis, qui s'apprêtent tous deux à élire des assemblés constituantes et leurs nouveaux présidents post-dictature, qu'islam et démocratie n'étaient pas contradictoires. “Un musulman peut gérer un Etat avec beaucoup de succès”, a-t-il martelé tout au long de son périple nord-africain. Un sérieux coup de pub et de pouce pour les Frères musulmans d'Egypte et aux islamistes tunisiens, de la part des islamo-conservateurs d'Ankara qui remplissent aujourd'hui la fonction de leadership. Avec les Israéliens, Erdogan a fait ce qu'aucun leader arabe n'a osé faire : il a gagné les cœurs de la rue arabe depuis son opposition à l'attaque israélienne contre Gaza durant l'hiver 2009 et depuis l'assaut menée le 31 mai 2020 par l'armée israélienne contre le bateau turc Mavi Marmara. Il reste que tout n'est pas blanc à Ankara. La question kurde fait courir la tentation autoritaire. Et puis la Turquie est encore un pays en transition.