Le paradis de Hassi Messaoud leur étant presque interdit, il ne leur reste que les yeux pour pleurer et la rue pour crier leur colère. Ce qui irrite un peu plus les jeunes chômeurs, c'est que l'offre, plus de 40 000 postes d'emploi chaque année, est largement supérieure à la demande, qui oscillerait entre 10 000 et 15 000 candidats. C'est-à-dire que leur problème peut trouver une solution. Pourquoi alors ne fait-on rien pour eux ? “Nous sommes des citoyens de troisième catégorie après les Algériens et les gens du Polisario.” Un sentiment aigu d'injustice mêlé au ressentiment animent les cœurs meurtris des jeunes chômeurs de Ouargla. Ils ne s'expliquent pas leur condition, eux qui habitent à quelques encablures de Hassi Messaoud, cette mamelle de l'Algérie où le pétrole et le gaz coulent à flot. Ce qui ajoute une couche à leur frustration est qu'ils ne profitent que très peu des offres d'emploi proposées par les entreprises de la région (plus de 700 sociétés travaillent à Hassi Messaoud). Jetant aux orties leur légendaire pondération, les gens du Sud ont, à l'instar de leurs concitoyens du Nord, emprunté les chemins escarpés de la contestation de rue. Aussi, depuis 2003, la capitale du sud du pays est cycliquement secouée par des mouvements de protestation. Rien que les deux dernières semaines de ce mois de septembre, pas moins de 5 manifs ont été enregistrées dans la région. Mieux, en 2008, les jeunes chômeurs de la région se sont dotés d'un comité dans l'espoir de donner plus de retentissement à leurs actions, mais surtout de voir le bout du tunnel. Mais rien n'y fit, le problème est toujours là. Rencontré devant le portail principal de la cité administrative où se trouve la direction de l'emploi, un groupe de jeunes donne libre cours à sa colère. “Après mon inscription à l'Angem en 2008, une quinzaine de bulletins m'ont été délivrés sans pouvoir décrocher un emploi dans une société nationale ou étrangère. Mieux, parce que j'ai pris part à des sit-in, la justice m'a condamné à un mois de prison”, s'insurge un jeune. “Il faut avoir la peau blanche et non pas noire comme la nôtre pour être retenu”, remarque un autre avant de s'épancher : “Parce que je ne travaille pas, je crée souvent des problèmes chez moi en cherchant chicane à mes sœurs. De guerre lasse, mon père m'a mis à la porte et je vis maintenant dehors.” Pour eux, même avec le sésame (bulletin de recrutement) délivré par le bureau de main-d'œuvre, la bataille est loin d'être gagnée. Ils doivent aussi passer le filtre des entreprises qui se montrent, selon ces jeunes, trop exigeantes. “Ils nous imposent des conditions insurmontables pour nous éliminer de la course. Dernièrement, il y a eu un test de recrutement au sein d'une entreprise. Sur une vingtaine de postulants, un seul jeune d'Ouargla est retenu”, s'offusque-t-on. Le paradis de Hassi Messaoud leur étant presque interdit, il ne leur reste que leurs yeux pour pleurer et la rue pour crier leur colère. Ce qui irrite un peu plus les jeunes chômeurs, c'est que l'offre, plus de 40 000 postes d'emploi chaque année, est largement supérieure à la demande, qui oscillerait entre 10 000 et 15 000 candidats. C'est-à-dire que leur problème peut trouver une solution. Pourquoi alors ne fait-on rien pour eux ? “Le problème est plus politique que social. C'est une carte maîtresse entre les mains de certaines personnes pour faire du chantage pendant les périodes électorales”, rétorque Maamar, un jeune qui a travaillé pendant près de 2 ans dans une société de sécurité, Himaya Plus, avant de se retrouver au chômage. “Le chef de cabinet nous a reçus en mars dernier et nous a promis que le problème sera réglé dans 6 mois. Vous reviendrez en juin prochain et la situation restera en l'état”, ajoute-t-il. “Il y a une mafia politique et économique qui a fait main basse sur la région et dont les intérêts se recoupent avec ceux de certaines gens au sein du pouvoir”, explique encore Madani El-Madani, un jeune militant de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Très dynamique, celui-ci a lancé une page facebook mais aussi une radio internet, “Akhbar Ouargla” (Ouargla infos), qui émet la nuit pendant deux heures, donnant la parole aux Ouarglis pour exprimer librement leurs préoccupations. “Nous voulons une justice sociale entre tous les Algériens et une distribution équitable de la rente pétrolière, mais dans le cadre de l'unité nationale”, précise notre jeune militant, comme pour prendre ses distances avec le fameux mouvement des enfants du Sud qui fait petit à petit son nid dans tout le Sud algérien. Mais ici à Ouargla, tout le monde a parlé de l'existence d'une “mafia de l'emploi”. On parle de la vente des bulletins d'emploi qui sont cédés à 100 000, 150 000 et 200 000 DA, bien sûr selon l'intérêt de l'emploi proposé et le rang de la société. “Sur les 40 postes d'emploi proposés dernièrement, seuls 4 sont revenus à des jeunes d'Ouargla. Les autres sont distribués à gauche et à droite”, atteste un député FNA avant de pointer du doigt le “lobby des sous-traitants”. Il faut dire que les entreprises de sous-traitance sont très mal vues à Ouargla, au point de cristalliser toute la rancœur des citoyens. Le chef de l'état, comme son premier ministre actuel avaient promis, il y a plusieurs années, de mettre fin aux activités de ces entreprises. Si elles ne travaillent pas à visage découvert comme par le passé, elles ont tout de même réussi à trouver la parade pour faire fructifier leur business. Elles ne recrutent plus des travailleurs au profit des entreprises, mais louent plutôt leurs services, le gardiennage par exemple, pour procéder ensuite à des recrutements. Une location de main-d'œuvre déguisée. Le plus grave, selon un citoyen du Nord qui dit beaucoup de bien des gens du Sud avec lesquels il vit depuis 5 ans, est qu'on ne donne que des miettes aux employés recrutés. Les employeurs offrent des salaires qui dépassant parfois 100 000 DA et les sous-traitants recrutent des travailleurs pour 15 000 ou 20 000 DA par mois. Résultat des courses, les jeunes Ouarglis refusent de travailler chez ces sociétés. Ce qui n'a pas manqué de leur attirer bien des accusations. “Ils ne veulent pas travailler pour un salaire de 20 000 DA. Ils veulent tous travailler à Sonatrach”, remarque un cafetier. “Il y a un entrepreneur ici à Ouargla qui a du mal à trouver un manœuvre pour 1200 DA la journée. Les jeunes ne veulent travailler qu'à Hassi Messaoud”, appuie un chauffeur de taxi. Avec un langage imagé, le député du FNA les a affublés du qualificatif de “chômeurs de luxe” qui ne veulent entendre d'un emploi que dans les grandes sociétés. Certains préfèrent plutôt soulever d'autres problèmes, telle la maîtrise des langues étrangères et la qualification. “La plupart des chômeurs d'ici sont sans qualification. Et les centres de formation d'ici ne dispensent pas des formations dans les métiers demandés par les sociétés”, explique un journaliste local. L'élu du FNA, lui, soulève un tout autre problème : celui de la partie qui devra distribuer les offres d'emploi. Pour lui, l'Anem doit être déchargée de ce dossier au profit des maires, comme c'était le cas avant 2004. Une distribution des offres d'emploi qui est décriée aussi par les jeunes chômeurs qui exigent plus de transparence de la part de l'Anem. Autre revendication mise sur la table : l'ouverture d'un dialogue avec les autorités locales, à leur tête le wali. “Là où l'on se rend, nos seuls interlocuteurs sont les éléments des services de sécurité”, dénonce une jeune. à sa manière, le député FNA soulève lui aussi ce problème. “Jamais un wali ne nous a sollicités pour nous entendre sur ce dossier de l'emploi. Même la commission dépêchée par le ministère du Travail n'a pas jugé utile de nous rencontrer”, déplore-t-il avant d'ajouter : “L'état doit ouvrir un dialogue avec les acteurs influents pour trouver une solution à ce problème qui n'a que trop duré.” Approché pour avoir son avis sur toutes ces questions, le wali de Ouargla n'a pas jugé utile de nous recevoir, préférant nous renvoyer à la direction de l'emploi. Sollicité avec la collègue d'El Watan, celui-ci a refusé de s'exprimer au motif d'une interdiction qui lui est imposée par son ministère de tutelle. Quant à la direction régionale de l'Anem, elle est devenue un véritable bunker protégé par des policiers, de peur qu'il ne soit attaqué. Pendant que l'on fait l'autruche, les jeunes chômeurs d'Ouargla broient du noir et s'exposent à toute sorte de tentations… même sécessionniste. “On est méprisé dans notre propre pays et, s'ils veulent maintenant, on va mettre sur la table des revendications politiques. Tout se trouve au nord du pays : les grands instituts, les grands hôtels, les sièges des grandes entreprises, etc. on en a assez d'une tutelle qui dure depuis l'indépendance. Nous ne sommes pas des racistes et nous ne voulons pas la division du pays, mais avec cette politique l'Algérie deviendra immanquablement une seconde Libye”, fulmine un jeune ingénieur en environnement. Et le jour où la boîte de Pandore sera ouverte...