Une dizaine de mouvements de protestation en un mois et la tension persiste à Ouargla. «Nous voulons du travail et immédiatement.» Cette injonction «menaçante et de bonne guerre», par ailleurs, provient de tous les quartiers et communes de Ouargla. Des chômeurs en colère ballottés entre une administration locale de l'emploi qui fuit ses responsabilités et des sociétés étrangères ou nationales, peu soucieuses des normes et lois du travail, occupées beaucoup plus à gérer des fonds «occultes» qu'à recruter conformément aux offres d'emploi qu'elles-mêmes émettent pourtant, ces jeunes sans emploi qui trimbalent de bureau en bureau, quotidiennement, leurs «carcasses» épuisées par tant de refus essuyés, allant jusqu'à menacer le directeur de l'Anem locale, introuvable. Aux heures de pointe, il est occupé, selon nos sources, qu'il ne démentira pas lorsque, «de force» et accompagné par les forces de l'ordre, il avait été appelé par le directeur de wilaya pour répondre devant ses accusateurs de ses «errements», son attitude contre-productive consistant à négocier des contrats et vendre des offres d'emploi dans les cafés du coin, devenus bureaux pour la circonstance et dont les seuls perdants, ces chômeurs impatients, n'ont d'autres recours, vu l'ampleur de leurs frustrations, … qu'à la force. Le dossier de l'emploi dans la wilaya de Ouargla est délicat, tellement «forcé» qu'il n'est pas aisé de s'introduire dans le cercle fermé des vendeurs de postes. Des postes d'emploi que seuls les plus nantis, les plus épaulés peuvent se permettre. 12 000 dinars, et c'est le Smig à payer pour trimer comme aide-opérateur et avec à la clé une «assurance vie» dans une base de vie à Hassi Messaoud. Les sociétés de sous-traitance «vous foutent dehors si vous râlez» L'important pour ces laissés-pour-compte est d'assurer un avenir «normal» pour leurs nombreuses familles à charge mais nullement dans les sociétés de sous-traitance «qui vous foutent dehors si vous râlez». Ce dilemme est relevé par les nombreux chômeurs que nous avons rencontrés alors qu'au niveau officiel, c'est motus et bouche cousue, et on nous l'a signifié. Pour pouvoir parler, donner sa version des faits, il fallait un préalable : avoir l'aval de l'administration centrale. Une fuite en avant, avant que le directeur de l'Anem, Mohamed Tahar Chaâlal, que nous avons rencontrés sur place, puisqu'il s'était rendu à Ouargla au moment où nous y avons séjourné, sur instruction du ministre du Travail pour «enquêter» sur les problèmes de ces chômeurs, parvenus jusqu'à Alger crier haut et fort leur désarroi, ne consente à les évoquer sous leurs multiples facettes. Le représentant de l'Anem locale, plus encore le directeur de wilaya de l'emploi, nous refusant la moindre déclaration «sous prétexte que nos compte-rendus ne reflètent pas la réalité». Retour sur un désastre endémique que nul responsable local ne veut assumer alors que la ville de Ouargla et ses communes sont au bord de l'embrasement. 2004 c'est demain, menacent les chômeurs. Récit. La protestation, seul recours pour… l'espoir Le soleil plombe la ville. A Ouargla, à 13h, devant le siège de la wilaya, se dresse le portail de l'édifice étrangement fermé et à même le trottoir, une dizaine de chômeurs que nul responsable ne veut ni écouter ni recevoir. Des passants de dernière heure s'empressent de rentrer pour éviter une chaleur suffocante. Les jeunes chômeurs demeurent sur place. Ils y sont depuis le 29 mai. Par leur action «suicidaire» pour beaucoup, aux leurs, ils veulent s'assurer une place dans une société qui les rejette et dénoncer les agissements de responsables locaux de l'emploi qui les placent dans la catégorie de la «populace», bonne à rien. Ils ne font pourtant, et ils le crient sur tous les toits, que réclamer «un droit garanti par la Constitution. Le droit à un travail décent». Lors de notre passage sur les lieux, nous avons trouvé ces 8 jeunes déterminés à aller jusqu'au bout. «Nous allons rester ici, c'est notre dernier recours», affirme Bousafia Abdelkader, 39 ans, orphelin et père d'un enfant d'à peine un mois, qui évoque en série un lot de griefs contre l'inspection du travail, les directions locale et régionale de l'Anem ainsi que les sociétés pétrolières accusées de manigances. «Les offres d'emploi qui émanent de ces sociétés sont quotidiennes et sont rarement affichées», soutient notre interlocuteur alors que son voisin Maâmer Ammi, 35 ans, diplômé en comptabilité, qui survit grâce à une pension de 6000 dinars de sa mère, parle de «gros marchés» dont sont victimes les gens de la région. «Nous ne sommes pas contre le fait que les gens du Nord travaillent ici, mais de là à nous ramener des Philippins et nous on meurt de faim… c'est inadmissible», regrette-t-il, avant d'expliquer que leur sit-in quotidien a été précédé d'une journée de protestation «radicale» qui s'est soldée par la fermeture de l'axe routier Ouargla-Ghardaïa. «Et même si vous avez de la chance de détenir le fameux sésame pour Hassi Messaoud, un bulletin d'orientation, vous ne serez pas au bout de vos peines», expliquent nos deux chômeurs qui regrettent aussi que leur désarroi ait été exploité «au début» par certaines associations dont les dossiers «sont aujourd'hui gelés». En effet, les offres «dispatchées» au niveau des 21 bureaux communaux de l'emploi (BCE), appelés communément bureaux de main-d'œuvre, par la direction locale de l'Anem, sont largement insuffisantes pour satisfaire les milliers de demandeurs d'emploi qui font quotidiennement le pied de grue devant ces bureaux, exigus et qui ne disposent d'aucune commodité. Pour «absorber» la colère de ces chômeurs qui s'inscrivent quotidiennement au niveau de ces bureaux alors qu'ils disposent pour certains de cartes de demandeurs d'emploi depuis 2006, «on propose aux centaines de chômeurs 8 offres seulement», raconte Maâmar. «Et c'est là que commence le trafic», assène-t-il, accusant l'Anem de «ne pas soutenir ces demandeurs d'emploi auxquels on fait des tests invraisemblables». Hamza Souissi, diplômé en HSE (hygiène et sécurité) a effectué un test chez Weatherford. Il attend toujours. «Mon voisin s'est suicidé à cause de ce genre de problèmes», nous raconte-t-il avant de préciser que le chargé des recrutements au niveau de cette société américaine, un Syrien dénommé Achraf, qui fait, à en croire ses propos, «la pluie et le beau temps». Hamza déclare qu'«il n'est jamais là». Il faut attendre qu'il revienne de son voyage, répond-on aux différentes sollicitations de Hamza. «Je commence à perdre espoir», dit-il. Les jardiniers doivent parler anglais Même constat fait par l'un des chômeurs de Hassi Messaoud qui se sont rendus à Alger exprimer leur colère devant le ministère du Travail, Mahmoud Zeggouni. Il nous raconte cette anecdote : «Pour exercer en tant qu'agent d'entretien ou jardinier, un demandeur d'emploi, bulletin d'orientation en main, s'est rendu à Hassi Messaoud. Condition d'embauche : parler anglais», nous révèle-t-il avant de s'interroger ironiquement : «Les arbres à arroser parlent-ils anglais ?» Les conditions de recrutement sont plus que dissuasives, ont soutenu nombre de demandeurs d'emploi, alors que le directeur général de l'Anem, Mohamed Tahar Chaâlal, promet dans l'entretien qu'il nous a accordés que «désormais, l'Anem contrôlera les tests de recrutement». Les conditions d'accueil, comme nous l'avons constaté, sont lamentables. Notre virée dans l'un des bureaux nous a révélé l'ampleur du laisser-aller. Place alors à l'anarchie et au mécontentement, voire à la quasi-émeute quotidienne. Les demandeurs «squattent» ces lieux quotidiennement et repartent bredouilles, sans résultat. Deux policiers veillent au grain. En vain. C'est l'anarchie. Devant la cohorte de chômeurs, ce sont les portes des bureaux qui se referment alors que, pour notre part, nous avons été bousculés par un des chômeurs en colère. Ça se comprend. A l'agence de wilaya de l'Anem, quelques demandeurs passaient en revue certaines offres affichées. Les responsables locaux de l'emploi n'aiment pas la presse Le responsable de l'agence, M. Djendli, que les chômeurs «cherchent comme une aiguille dans une botte de foin», était introuvable. On nous fait attendre pendant plus d'une heure à l'intérieur du bureau et aucun responsable n'a daigné nous informer. «On ne parle pas à la presse», nous dira la secrétaire qui a échangé quelques propos au téléphone, probablement avec le directeur avant qu'elle se ressaisisse et nous fasse attendre «pour être reçu par un… intérimaire». En vain. L'un des fonctionnaires, non averti de notre qualité de journaliste, évoque devant nous «son neveu nouvellement diplômé» qu'il allait caser comme «opérateur» à Hassi Messaoud. Les cas de «dépassement» cités par nos interlocuteurs sont nombreux. «Il y a une véritable mafia à Ouargla», soutient Mahmoud Zeggouni, du comité de défense des droits des chômeurs, qui affirme que pas moins de 892 sociétés et entreprises traitent avec l'Anem. «S'il est vrai que beaucoup de demandeurs généralement sans diplôme optent pour le métier d'aide-opérateur appelé communément manœuvre à Ouargla, il n'en demeure pas moins que les offres sont amplement suffisantes pour engloutir les quelque 10 000 demandeurs au niveau de la wilaya», affirme Mahmoud, qui estime le nombre d'offres annuelles à 15 000, «ce qui équivaut à 50 000 postes d'emploi», précise-t-il, citant l'inspection du travail. Un responsable de l'Anem à Alger tirerait les ficelles Pour Mahmoud, l'absence d'affichage des offres récemment annoncées à travers la radio locale comme nous l'a confirmé le DG de l'Anem, est voulue par les responsables de l'Anem qui collaborent avec les directeurs des ressources humaines au niveau des sociétés dans un «marché juteux où les postes d'emploi se vendent entre 120 000 et 150 000 dinars». Abondant dans le même sens, Madani El Madani de la section locale de la Laddh, qui cite «une dizaine de mouvements de protestation pour le seul mois de juin», une colère qui risque selon lui de s'amplifier, estime pour sa part que le nombre d'offres d'emploi dépasse les 40 000 annuellement. «Il y a un manque flagrant de transparence dans les affichages», a-t-il assuré allant jusqu'à évoquer «un terrorisme administratif» dont sont victimes les chômeurs de Ouargla. Si «corruption» il y a, qui tire alors les ficelles ? De sources locales, l'on affirme que ce serait un ex-directeur régional de l'Anem de Ouargla qui est actuellement en poste au niveau de l'agence nationale à Alger. «C'est lui qui tire les ficelles en manipulant l'actuel directeur de l'Anem de Ouargla, M. Djendli, qui verse dans le trafic», affirme notre source qui soutient que ce dernier «est toujours en possession de bulletins d'orientation vierges». Nous avons à maintes reprises essayé de le rencontrer, en vain. Les demandeurs d'emploi sont à l'affût de la moindre information. Ils s'impatientent et investissent, au deuxième jour de notre visite, la direction de wilaya de l'emploi, laquelle a expliqué que c'est le principal concerné, M. Djendli, qui devait s'expliquer sur la question de l'emploi. Ce n'est qu'avec une escorte policière qu'il s'est rendu, «sous la pression de la rue», à la direction de wilaya, informer les chômeurs excédés par le mépris et l'injustice et qui le traitaient de tous les noms et l'accusaient de «corruption» qu'il «ne peut rien faire d'autre». Il jurera par tous les saints et «en tant que fils de la région» qu'il n'a rien à voir avec les magouilles, façon implicite de reconnaître que ces pratiques existent bel et bien. Notre présence inopportune à l'intérieur du bureau du directeur de wilaya, Yahia Babekeur, dans lequel nous nous sommes faufilés a agacé ce dernier qui refusait le lendemain de nous faire la moindre déclaration, «car vous avez mal rapporté l'incident d'hier», nous a-t-il répondu sèchement, affirmant qu'il n'est pas en mesure de s'expliquer sur le dossier tant qu'il n'a pas «d'instructions venues d'en haut». La venue du directeur général de l'Anem, M. Châalal, a apaisé les esprits pour un temps, de par les espoirs que les demandeurs d'emploi fondent en lui, mais la tension reste vive. Les promesses du DG réussiront-elles à éviter émeutes et immolation par le feu ? Seule une gestion transparente du dossier est à même d'y remédier.