L'aspect politique et l'aspect intime et familial semblent être les deux tendances de la littérature mondiale aujourd'hui, en atteste le nombre de prix Nobel dont l'écriture gravite autour de ces deux thèmes. Si les écrivains s'intéressent à ce qui les entoure, ils reviennent toujours à la famille et surtout au Père, cette figure emblématique de l'équilibre de l'individu. Philippe Delaroche, rédacteur en chef du magazine Lire, a animé, hier matin, une conférence portant sur les "tendances de la littérature mondiale", et ce au pavillon de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc), qui prend part, pour la première fois, au Salon international du livre d'Alger. M. Delaroche a choisi deux axes de réflexion, “relativement arbitraires” (compte tenu du nombre de livres qui paraissent en France à chaque rentrée), pour les besoins de cette conférence : les dix derniers prix Nobel de littérature, et les enjeux littéraires, qui sont inextricablement liés au rapport qu'entretient l'écrivain qui écrit à partir de l'intime et de lui-même, avec “le dehors”, ce monde qui l'entoure. Car “c'est étonnant de voir comment les circonstances” peuvent orienter l'écriture et influencer l'autre lui-même qui s'exprime à partir de son propre point de vue. Le deuxième axe développé par le conférencier est le travail accompli par le magazine, dont il est le rédacteur en chef, pour faire connaître certains auteurs (en atteste le numéro spécial publié il y a six ans et qui s'intitulait “50 écrivains pour demain”), et l'espace que consacre sa revue aux écrivains, notamment à travers de grands entretiens. En passant en revue les dix derniers prix Nobel, Philippe Delaroche constatera que les écrivains, et bien qu'ils soient la plupart du temps engagés politiquement, reviennent aux questions relevant du personnel et de l'intime, comme celles liées à la famille. Il y a comme un enchevêtrement entre les rapports familiaux et ceux plus généraux liés aux questions de l'identité (Gao Xingjian, Nobel 2000), à l'hybridation de la culture (Vidiadhar Surajprasad Naipaul, Nobel 2001), à l'absurdité d'un état de choses où les maîtres deviennent esclaves eux-mêmes (John Maxwell Coetzee, Nobel 2003), ou encore à la dénonciation de “l'hypocrisie des conventions” (Harold Pinter, Nobel 2005). Cette rétrospective des différents auteurs ayant été consacrés par la prestigieuse académie suédoise, a permis à Philippe Delaroche de dresser un tableau, certes, non exhaustif, mais représentatif des différentes tendances dans la littérature mondiale d'aujourd'hui. Si les anglophones remportent la partie sur les francophones, et bien que les nationalités des Nobel sont différentes (de l'Afrique du Sud, en passant par l'Autriche, l'Allemagne, le Pérou, la Turquie ou la Chine), il apparaît évident que ce sont “les enjeux collectifs” qui déterminent la légitimité de l'écriture. Et, d'après les traits saillants extraits par M. Delaroche, il semblerait que les écrivains d'aujourd'hui, qui écrivent à partir de ce qu'ils connaissent et de ce qui les hantent (“du-dedans”), sont dans un rapport de contestation et de refus du monde qui les entoure. Leur écriture n'en est pourtant pas amochée ou marquée par de l'amertume ; elle culmine plutôt avec un mélange d'humour (sous ses différentes formes) et de gravité. Car seul un grand style peut entraîner un lecteur dans les turpitudes de la vie quotidienne. Et c'est par la famille qu'on pénètre dans l'univers de ces auteurs, avec un “retour au Père”, à chaque fois. Philippe Delaroche a terminé son propos en évoquant ce retour au père à chaque fois, et à cette tendance qu'ont les auteurs de revenir à chaque fois vers cette figure tutélaire, qui est –si on extrapole- l'équilibre même de la famille. Dans le deuxième axe, M. Delaroche a évoqué le dossier réalisé par le magazine Lire sur les “50 écrivains de demain” (en relevant certains noms dont la notoriété n'est plus à faire aujourd'hui, comme Atiq Rahimi et Alain Mabanckou), tout en indiquant qu'il existe également des modes en littérature aujourd'hui, à l'exemple de celle liée aux écrivains “voyageurs” et au concept de “Littérature Monde”, mais comme élément de réponse, il lira l'édifiante déclaration de l'écrivain Bjorn Larsson, qui a justement contesté cette formule. Car comment peut-on avoir la prétention de s'adresser au monde à partir de son petit monde, sans rien connaître de l'autre ? Un écrivain voyage forcément en se mettant à la place de l'autre et en créant des personnages aussi colorés, complexes et contradictoires que le monde dans lequel nous vivons.