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Le député, ce mal-aimé des Algériens, pourquoi ?
Publié dans Liberté le 16 - 10 - 2011

La session parlementaire en cours sera, sans doute, la dernière en activité de cette législature. Dans les chapelles politiques, la bataille a déjà commencé pour se positionner, dans la perspective des législatives à venir, en bonne place sur les listes électorales.
Pour autant, de nombreux projets de lois doivent être votés avant la fin de cette session, particulièrement ceux en rapport avec les réformes que veut faire passer le président de la République : le projet de loi relatif au régime électoral, ceux relatifs aux partis politiques, aux cas d'incompatibilité avec le mandat parlementaire, à la représentation des femmes dans les assemblées élues, etc., et, bien sûr, la loi de finances 2012. Au total, une douzaine de projets devront être votés. Un volume de travail auquel ne sont pas habitués nos députés, mais qui n'explique pas la fébrilité particulière qui s'est, à l'entame de cette session d'automne, emparée de l'Assemblée nationale. Une nervosité dont l'origine n'est pas à relier à l'importance du travail qui attend les parlementaires. Et pour cause, il y a plus préoccupant… Le renouvellement de l'Assemblée nationale est dans quelques mois. Il faut s'y préparer, les élus de la nation concentrent déjà toute leur attention et toute leur énergie en direction de cet objectif. Un statut enviable et une position sociale convoitée. S'y maintenir est la fin qui justifiera les moyens, d'autant que les projets de loi dont il est actuellement question peuvent chahuter les ambitions de chacun et constituer, pour les carrières, un danger potentiel qu'il va falloir conjurer. Même les ministres qui ambitionnent de gagner, à nouveau, ce mandat s'apprêtent, avec inquiétude, à aller en campagne. Comme à l'accoutumée, ils vont, pour cette cause, abandonner momentanément leur fonction ministérielle pour entrer dans l'arène et tenter — en usant des moyens de l'état et des deniers publics — de garantir leur réélection. L'assurance de retrouver, après avoir été (ré) élu, le fauteuil du ministère. Une nouvelle règle, imprévue, est venue toutefois contrarier ce dessein. En effet, dans la nouvelle mouture de la loi organique relative au régime électoral, il est fait obligation, pour ces commis de l'état, de démissionner de cette charge trois mois avant les élections (article 93). Des voix, soucieuses (un euphémisme ?) des affaires de l'état, s'élèvent cependant pour s'opposer à “cet article inopportun”. “La démission des ministres va créer un vide au sein de l'Exécutif qui va paralyser le gouvernement… et on ne peut mettre en place un gouvernement transitoire pendant trois mois…” Un argument mis en avant par les députés du FLN, hostiles à cet article de loi. Ne pas laisser l'Algérie sans gouvernement, une louable intention s'il en est. Mais il faut aussi garder au chaud, le temps de la campagne électorale, le fauteuil ministériel. Un autre argument — le vrai, celui là —, et tant qu'à faire, il est plus sûr de se le garder soi-même, sait-on jamais ? Les réformes du président… une affaire qui va certainement lézarder un peu plus l'alliance présidentielle. Les partis qui y siègent — et ceux qui gravitent autour — ne sont pas disposés à adopter une position consensuelle face à tous les projets de loi qui leur sont proposés, en particulier ceux ayant trait au régime électoral et à la représentation des femmes dans les assemblées élues. Sans doute, pour des raisons de calculs politiciens et de postures idéologiques incompatibles. On sait, toutefois, que les députés qui appartiennent à cette coalition voteront, comme c'est l'usage, tous ces projets ; à plus forte raison quand il s'agit de satisfaire la volonté du président.
Chacun comprendra, dès lors, que l'introduction — par les députés qui siègent dans la commission juridique — de quelques amendements dans ces projets de loi fait partie de la mise en scène d'une pièce qui se jouera “in fine” devant les caméras de télévision de l'hémicycle. Les parlementaires vedettes, toujours les mêmes, rivaliseront, durant les débats, de rhétorique. Ils donneront ainsi un semblant de réalité à un simulacre de démocratie qui verra, en définitive, toutes les lois approuvées à une majorité presque absolue. Le tour sera joué et l'honneur de l'Assemblée sera sauf. Une mystification de plus à inscrire à l'actif de cette législature. Les élus de la nation auront accompli la mission qui leur aura été confiée. Ils pourront alors, comme leurs collègues ministres, prétendre au mandat à venir. Bis repetitae…
C'est, sans doute, à cause de l'inamovibilité et du mensonge permanent qui caractérisent nos responsables, que la population manifeste de la défiance vis-à-vis du pouvoir et qu'elle n'a aucune considération pour ses représentants, députés, ministres, etc. Des personnes réputées être loin des préoccupations citoyennes et qui ont beaucoup de mal à se départir d'une position et de privilèges auxquels elles s'accrochent “mordicus”. “Les Algériens n'aiment pas leurs ministres… ils ont une mauvaise image d'eux et ne les considèrent pas comme une élite…”, dira le sociologue Nacer Djabi dans son ouvrage Le ministre algérien, origines et parcours, qu'il vient de faire paraître aux éditions Chihab. Une opinion répandue et qui est largement partagée par les Algériens. Si nos ministres sont impopulaires, nous pouvons en dire autant de nos députés. Ces derniers se revendiquent d'une légitimité populaire qui ne leur est pas reconnue. Ils sont contestés parce qu'ils ne sont pas l'émanation du libre choix des citoyens. Une imposture qui jette le discrédit sur la fonction parlementaire. Une forfaiture qui cristallise sur la personne du député la rancœur et l'hostilité que la population nourrit, plus généralement, à l'endroit d'un pouvoir auquel ce “représentant du peuple” sert de rempart. Chacun sait que le député algérien n'a pas le pouvoir de décider et que son rôle se borne à valider les décisions d'un Exécutif auquel il est soumis. Les citoyens les plus avertis ne croient pas au rôle de législateur qui lui est attribué. Ce ne sont pas les quelques interventions emphatiques “commises” — à l'occasion des débats sur les projets de lois — par les députés de la majorité ou celles, pathétiques ou tonitruantes, de ceux de l'opposition qui démentiront cette opinion qui veut que le parlementaire “de chez nous” n'ait aucune initiative sur les événements et fasse office de “figurant”. Par conséquent, les citoyens savent que l'Assemblée nationale est une chambre d'enregistrement, qui a pour seule mission la légitimation par la loi des décisions prises par le pouvoir exécutif. Le député n'a donc aucune influence sur le destin du peuple. C'est pourquoi il n'est pas respecté. Pour autant, l'Algérien “lambda” attend du parlementaire des actions qui améliorent de façon tangible son quotidien. Il ne se préoccupe pas des projets de loi qui sont votés à l'Assemblée, il pense que cela ne le regarde pas vraiment et, parce qu'il ne comprend pas grand-chose au travail législatif, il n'y manifeste aucun intérêt. Tout cela est trop difficile à comprendre et il ne sait pas très bien comment ces lois peuvent transformer concrètement sa vie de tous les jours.Est-ce que les députés ont travaillé, durant cette législature, pour améliorer l'existence du citoyen et lui apporter le bien-être ? Je ne le crois pas. Nos députés ont la réputation d'être gourmands et d'être grassement payés à ne rien faire. Une vérité accentuée par un pouvoir qui a besoin, il faut le dire, de boucs émissaires pour canaliser la colère d'une population qui conteste à ces parlementaires leur représentativité et les rend responsables de l'incurie des pouvoirs publics.
La seule évocation de leur salaire suscite, à juste titre, chez le citoyen un sentiment d'injustice. Faut-il rappeler que la rémunération des députés et sénateurs a été, par la grâce de l'ordonnance 08-03 du 1er septembre 2008, multipliée par deux avec un effet rétroactif de huit mois ? Un cadeau offert par les décideurs en prévision de l'amendement de la Constitution. Il fallait, on s'en souvient, faire sauter le verrou de deux mandats pour permettre à Bouteflika de prétendre une troisième fois à la magistrature suprême. Ce fut fait. L'histoire retiendra que l'actuel mandat, le troisième, du président avait été rendu possible parce que les parlementaires des deux chambres avaient accepté le viol de la loi fondamentale. La monnaie d'échange de cette forfaiture avait été le renchérissement de leur salaire. Les “élus de la nation” avaient été corrompus. Une cicatrice indélébile dans cette sixième législature…
Une raison supplémentaire qui donne de la compréhension au désintérêt que manifeste la population à la vie politique du pays. Un motif d'indignation qui la fait se détourner des échéances électorales auxquelles elle ne croit pas. Cette législature prendra fin dans quelques mois. Elle aura été émaillée par une vie sociale et politique particulièrement marquante. Jamais l'Algérie n'a connu autant d'émeutes et jamais il n'y a eu autant de jeunes qui se sont jetés à la mer pour fuir leur pays. Des milliers de harraga et des dizaines de milliers de révoltes populaires… Une situation qui n'a pas éveillé l'intérêt des parlementaires et qui n'a suscité aucune initiative de leur part. Ils sont restés indifférents à ces événements, comme ils sont restés sourds aux appels de détresse lancés par nos concitoyens atteints du cancer. Députés et sénateurs n'ont pas été indignés par la situation de ces malades abandonnés par un état qui n'est pas capable de leur assurer la disponibilité des médicaments dont ils ont besoin et de leur permettre l'accès aux cures de radiothérapie. Chacun se souviendra que l'Assemblée nationale est restée désespérément muette à ce sujet. Députés et sénateurs n'ont pas entendu, non plus, l'appel de centaines de milliers de nos seniors qui vivent leurs vieux jours dans la précarité. Est-il nécessaire, en effet, de rappeler que 70% de nos retraités perçoivent une pension inférieure à 8000,00 DA mensuels. Moins de la moitié du salaire minimum garanti d'aujourd'hui. Une humiliation… Et si, dans un sursaut moral, les parlementaires s'en indignaient enfin et se mobilisaient pour introduire, dans la loi de finances prochaine, un amendement qui alignerait obligatoirement la retraite minimum sur le SNMG (salaire national minimum garanti)…
Les parlementaires, impassibles, ont continué à faire ce qui leur est demandé. Ils ont voté des lois de finances confectionnées pour mener une politique d'assistance sociale à la population. Des sommes colossales seront dépensées dans des dispositifs d'aides inopérants et non créateurs de richesses. Des dizaines, voire des centaines, de milliers de pré-emplois et de crédits pour la création de micro-entreprises ont été mis en place pour obtenir des statistiques “à la convenance” et pour donner l'illusion aux chômeurs de notre pays — généralement sans diplôme et sans qualification — qu'ils seront un jour prochain des directeurs d'entreprises…
De fausses solutions pour régler de vrais problèmes. Des artifices pour différer les difficultés auxquelles sont confrontés nos jeunes concitoyens. Des programmes pour avoir, momentanément, la paix sociale. Pourtant, l'Algérie est plus que jamais fortunée. Une aisance financière gaspillée de façon inconsidérée et/ou thésaurisée, mais qui ne profite pas au peuple, une richesse sans prospérité. Cette ultime session d'automne sera consacrée essentiellement à la validation des réformes politiques initiées par le président de la République. Députés et sénateurs vont, comme à l'accoutumée, s'exécuter.Pour ne pas que notre pays soit contaminé par les révolutions qui secouent les pays arabes et voisins, le pouvoir avait encouragé les revendications sociales. C'était au début de cette année. Ces dernières avaient, en ce temps, servi de soupapes de sécurité et avaient fait avorter la contestation politique naissante. L'état est riche et a les moyens de satisfaire les demandes sociales. Comme les lois de finances précédentes, celle de 2012 a été rédigée dans cet esprit. Elle consacre le gros de son budget au fonctionnement des institutions. Les salaires ont été augmentés, il faut les payer. Il faut aussi éponger les rappels que ces augmentations ont générés. Avec cette rentrée parlementaire, le pouvoir va continuer à manœuvrer. Il a conscience que les mesures sociales qu'il vient de prendre, notamment l'augmentation à 18 000 DA du salaire minimum, ne sont pas suffisantes et n'apaiseront pas un front social en pré-insurrection. Il va tenter de détourner l'attention de l'opinion sur un simulacre de réformes politiques, afin de faire oublier les graves difficultés dans lesquelles sont empêtrées les familles algériennes.
Les parlementaires, qui ne s'indignent pas de la précarité dans laquelle vivent leurs concitoyens, seront au centre de ce jeu de dupes. Ceux-ci sont pour le moment préoccupés par leur destin personnel. Les élections arrivent. La pièce sera, à n'en pas douter, bien jouée. Chacun donnera le meilleur de lui-même pour être nominé au prochain festival. Les “clients” seront, comme c'est l'usage, cooptés et reviendront pas la grande porte. Pour les autres, la concurrence sera rude. Les places seront attribuées aux mystificateurs les plus talentueux. Tous ensemble, les “heureux élus” retrouveront leur siège dans l'hémicycle. Ils seront fin prêts pour participer, à nouveau, à une autre mise en scène. Une parodie qui sera le motif de plus qui viendra s'ajouter à tous les autres. Le peuple finira par s'indigner. Il s'éveillera, sans doute, un jour et s'engagera alors résolument dans une dynamique qui créera le changement et construira une patrie de justice sociale et de démocratie. “Mais si un jour… une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte se lève”, Stéphane Hessel (Indignez-vous, Indigènes Editions).
Dr B. M.
(*) Psychiatre. Député de Tizi Ouzou.
tacot 05-11-2011 12:48
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