Marie-Catherine Beuth est journaliste française spécialisée du web 2.0. Editrice de blogs persos et consommatrice compulsive de services web 2.0, elle a publié en 2005 Putain d'ordinateur ! Dans cet article publié sous le titre “Ce que l'alliance avec Facebook signifie pour les médias et les marques”, elle revient sur les aspirations de Mark Zuckerberg et les nouvelles conquêtes qu'il compte entreprendre avec Facebook. Jeudi, à San Francisco, Facebook a posé les jalons de ce qui s'annonce comme le mésozoïque des réseaux sociaux : après avoir fait provision d'amis pour l'hiver, il est temps de donner un peu de chair à toutes ces relations. Le social gaming était déjà un moyen de permettre aux utilisateurs de faire des trucs ensemble. Les médias et les loisirs vont élargir cette participation au plus grand nombre. A l'occasion de la conférence F8, dédiée aux développeurs, Facebook a présenté de nombreux partenariats avec des médias et fournisseur de contenus, qui, comme sur l'App Store d'Apple, vont pouvoir exister sous forme d'applications sur la plateforme communautaire. À la découverte des premières applications ce matin, de nombreuses interrogations et promesses semblent s'esquisser. Ainsi les applications des journaux Washington Post – qui agrège aussi les contenus de Slate, Reuters, Mashable, Foreign Policy dans son “Social reader” – et The Guardian permet de lire intégralement un article sans quitter Facebook. Ce dernier ne joue plus son rôle de pourvoyeur de trafic tenu jusqu'ici, avec des liens vers les sites d'actus flanqués de brefs résumés d'articles. Quid alors du modèle économique ? Les publicités qui apparaissent dans la colonne “Sponsored” à droite sont des Facebook Ads. Y a-t-il partage de revenus ? Rien n'est moins sûr, d'autant que Facebook peut facilement arguer qu'il offre une exposition auprès d'une audience engagée et nombreuse au Washington Post. Ce dernier explique dans un édito que l'application Facebook ne proposera pas les mêmes articles que le site washingtonpost.com. Ce n'est qu'après l'y avoir autorisé, que les articles lus sur le site du WaPo par un internaute seront partagés sur Facebook. On revient ainsi à un modèle de générateur d'audience. Sur l'application du Guardian, un bandeau publicitaire d'auto-promo en haut de l'application laisse présager un espace pour des bannières display, cette fois commercialisées par la régie du quotidien britannique (avec partage de revenus ?). Mais les liens proposés sur la page ne renvoient que vers des articles au sein de l'application sociale. Facebook voulait doper l'engagement des utilisateurs avec la plateforme : c'est réussi, on fait rentrer le web dans le réseau social. The Guardian envisage l'opération comme “une nouvelle expérience d'information sociale qui permet aux utilisateurs de Facebook de découvrir plus facilement du contenu du Guardian en ligne et via leurs amis”. À terme, ce modèle pourrait, en théorie, aussi permettre d'acheter des articles à l'acte en payant en Facebook Credits : pour la première fois, on pourrait réaliser simplement des micro-transactions (au centime) pour lesquelles on n'imagine pas sortir sa carte bleue ou faire une opération SMS+ aujourd'hui. Rien n'a été annoncé en ce sens pour l'instant. Côté musique, le Chief revenue officer de Spotify a livré des éléments de réponse au site Paidcontent.org sur l'impact économique de cet alliance avec Facebook : “Grâce à l'intégration Spotify/Facebook, les gens pourront écouter et partager le service via Facebook. Cela nous offre une base d'utilisateurs considérable à proposer aux annonceurs. La publicité in-stream (dans le flux audio, ndlr) est un gros business et la connexion à Facebook va nous aider à être plus compétitifs dans la course aux investissements publicitaires.” Par ailleurs, Spotify n'exclut pas de pousser ainsi des playlists sponsorisées par des marques dans le nouveau fil info des internautes. Sans compter que pour Spotify, comme pour les autres services d'écoute qui vendent des abonnements premium par ailleurs, l'incitation sociale à consommer de la musique devrait amener rapidement tout le monde à atteindre son plafond de 5 ou 10 heures d'écoute par mois. Et donc doper les taux de conversion sur l'offre premium. - A suivre ! Le magazine Ad Age résume très bien la situation : “Facebook est passé de l'échelle à l'engagement.” Ce basculement est du plus haut intérêt pour les marques, qui se voient offrir ici un cheptel de nouveaux formats publicitaires potentiels, qu'ils adresseront à une audience plus captive. Les applications sont un premier exutoire intéressant, mais pour être ajoutés à Timeline – le nouveau profil de Facebook – il faut du service, de l'intérêt. C'est Nike qui se concentre sur l'expérience de running avec Nike+ et non sur la vente de chaussures. Mais il n'y a pas de raison que le shopping reste à l'écart de ces applis. L'extension du vocabulaire en place sur Facebook – on ne fait plus seulement “aimer” un contenu, on peut le “cuisiner”, “vouloir”, “explorer” etc. – devrait aussi aider les marques à sortir de la ridicule course au fan. Toutes ces actions permettront de créer des “stories” sur les profils des internautes. De quoi réinventer le format “sponsored story” lancé en début d'année. L'exigence des internautes d'avoir des contenus de marque de grande qualité risque de devenir plus forte que jamais. Tout ceci reste une observation “à chaud”, alors qu'on est loin d'avoir apprécié tout le potentiel et les enjeux de ce mariage des médias avec une plateforme communautaire. Mais en fin de conférence, Mark Zuckerberg a tracé une feuille de route ambitieuse : “Let's rethink some industries !” (“repensons certaines industries”), a-t-il lancé aux développeurs. On n'a pas fini d'être surpris. Y. H.