Répétons, insistons que Dehilès est venu, a combattu et a grandi avec la Révolution algérienne. Je ne suis ni le compagnon d'armes ni un parent du colonel Slimane Dehilès. Simplement un ami qui s'honore de l'avoir reçu avec son épouse Izza, grande militante de la cause nationale, et être allé chez lui, périodiquement, pendant plus de 30 ans, où j'ai mesuré la chaleur irradiante de toute sa famille, y compris de ses enfants Ali, Nafissa et Lila. Je me suis effacé volontairement pendant plusieurs jours après sa mort, le 5 novembre 2011, croyant et même attendant qu'un hommage national lui soit rendu, lui qui est l'un des grands de la Révolution algérienne. Je suis peiné de l'oubli des vivants qui tue encore plus les morts, pour rappeler le mot cruel d'un philosophe, car Dehilès était grand, bon, généreux, clément et brave. Il est mort paisiblement chez lui le 5 novembre 2011. Un 5 novembre ! Quelle coïncidence, m'ont rappelé Ali et Nafissa, le visage irradié d'une lumière venue d'une âme apaisée et d'une paix intérieure si profonde ! à moins que ce soit un signe du destin, car c'est le 5 novembre 1954 qu'il abandonna tout en France pour rentrer précipitamment en Kabylie prendre le maquis, ayant lu, trois jours avant dans un train, par-dessus l'épaule d'un passager, cette manchette d'un journal français : “Nuit sanglante en Algérie”. Quels sont les Algériens qui ont pris le maquis trois jours seulement après le déclenchement de la guerre de Libération nationale ? On oublie qu'il faudra plusieurs mois, voire plusieurs années pour que les partis politiques d'alors acceptent enfin, sous la pression ou la persuasion, d'entrer dans le combat. Je laisse de côté la brûlante et inépuisable question de ceux qui ont versé dans la trahison, la collaboration, ou tout simplement la division, au moment crucial où, tout calcul mis à part, il fallait unifier les rangs et sauver de disparition le peuple algérien. Répétons, insistons que Dehilès est venu, a combattu et a grandi avec la Révolution algérienne. À eux seuls, ces faits, indiscutables, vérifiables, lui donnent cette dimension de grandeur et d'exemplarité que peu d'hommes peuvent revendiquer. Autre manière peut-être, encore et encore, de convaincre les jeunes d'aujourd'hui et surtout les sceptiques de métier que des hommes comme Dehilès étaient si rares que l'ALN n'a connus, en tout et pour tout, qu'à peine une trentaine de colonels, grade le plus élevé, à la fin des sept années et demie de guerre, sur dix millions d'Algériens de l'époque, pour mesurer le degré de courage et de sacrifice qu'il fallait avoir, sans autre récompense, que le devoir accompli envers son peuple et sa patrie ! Quel abîme avec les calculateurs d'après-guerre ! Lui, Dehilès, tout colonel de l'ALN qu'il était, s'était abstenu, par grandeur d'âme et patriotisme pur, d'affaiblir en quoi que ce soit l'Algérie renaissante. Pourtant, il en avait gros sur le cœur devant tant de marchandages et d'injustice.Il savait que les idéaux de la Révolution étaient trahis. Démocratie et justice sociale étaient les deux fondements éternels de cette belle et sublime Révolution de Novembre 1954. Qui peut oser affirmer qu'ils ont été respectés ou même approchés de près ? De son vivant et pour ce qu'il pouvait faire, le colonel Dehilès vivait au quotidien les deux idéaux impérissables de Novembre 1954, repris par le Congrès de la Soummam. La démocratie, disait-il, m'avait martelé sa fille à plusieurs reprises, devait d'abord s'apprendre et commercer à la maison. Il attendait de ses enfants mais aussi, bien fier, de son épouse qu'ils donnent toujours leur propre opinion sur les questions souvent abordées, même les plus épineuses. Il n'a jamais cherché à écraser de sa structure ni de son verbe haut les membres de son entourage, respectant et profitant de l'avis de chacun. Quant à sa bonté légendaire qui m'a été décrite longuement par l'un de ses compagnons d'armes (Mourad Oussedik), elle s'est exercée non seulement tout au long de son combat dans les djebels, mais bien après auprès des petites gens qu'il essayait d'aider autant qu'il le pouvait. Comment rester insensible à tant de rappels qui sont pour nous, bénéficiaires de l'indépendance de l'Algérie, autant d'avertissements dans l'océan des égoïsmes et des accaparements ? Ne pas commémorer nos morts, surtout ceux qui n'ont pas hésité à offrir leur vie pour sauver un peuple en détresse, c'est perdre un peu de nous-mêmes. Si faible qu'ait été mon message, il m'a permis, à travers Dehilès, de renouer avec la belle et grande Révolution algérienne. Merci encore à lui autant qu'il est possible de le dire en priant Allah de lui accorder toute Sa grâce et Sa Miséricorde. Khalfa Mameri