Les parents d'élèves sont forcés de payer des cours particuliers à leurs enfants pour pallier les lacunes de la qualité de l'enseignement. Ce phénomène a tendance à s'accentuer avec la persistance de la grève qui dure depuis 5 semaines. Conséquences de la Grève et de la baisse de la qualité de l'Enseignement L'école au noir La grève a révélé l'ampleur prise par le phénomène des cours particuliers. Les parents qui le peuvent paient systématiquement des cours à leurs enfants, à défaut de les inscrire dans des écoles privées. Le Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest) et le Conseil des lycées d'Alger (CLA) mobilisent dans leur grève, déclenchée depuis plus d'un mois, 96% des professeurs. La majorité des enseignants n'arrive pas à boucler leur fin de mois. Pour y faire face, ils donnent entre autres des cours particuliers aux élèves qui peuvent se le permettre. Il faut savoir que cette grève a suscité une grande inquiétude chez les parents qui craignent une année blanche. Ce qui serait préjudiciable pour la scolarité de leur progéniture. Cette situation a poussé les parents nantis ou du moins ceux dont les moyens le leur permettent à payer des cours particuliers à leurs enfants. Il y a en effet un grand nombre d'élèves qui ont opté pour cette solution, en attendant que le gouvernement décide de satisfaire les revendications des enseignants. Il faut savoir que ces cours de soutien ont existé depuis toujours. Ils sont destinés aux élèves dont le niveau est tout juste moyen ou médiocre. Mais actuellement, ils ont tendance à se généraliser. C'est devenu presque une “mode”. Les parents aisés essaient de combler les déficiences du système fondamental. “Il y a une fracture entre les méthodes de l'enseignement dans le fondamental qui est basé sur le principe de l'accumulation d'un certain nombre de connaissances. Les élèves arrivent au secondaire sans méthode de raisonnement (méthode déductive), d'où la nécessité des cours de soutien. L'enfant a toujours besoin d'être assisté”, relève un professeur. Ce sont les matières scientifiques (physique, maths, chimie et sciences naturelles) qui sont le plus convoitées. Les coûts varient entre 150 et 200 DA l'heure et, à ce prix, les professeurs se déplacent à domicile. Il y a aussi des enseignants qui aménagent une salle dans leur maison pour recevoir jusqu'à 20 élèves. Ces derniers paient 2 000 DA par mois pour toutes les matières, à raison de six heures par semaine. Aujourd'hui, la plupart des parents paient, quitte à serrer la ceinture, des heures supplémentaires à leurs enfants. “Mon fils passe le bac cette année, et les cours n'ont pas encore débuté. Le retard accumulé ne sera pas rattrapé normalement. Il y aura sûrement bâclage. Dans tous les cas, cette année scolaire ne sera pas comme les précédentes”, nous confie un père. Depuis plus de 15 jours, ce père paie à son fils des cours de physique et de maths. L'opération lui revient à 2 500 DA le mois, à raison de 6 heures par semaine (105 DA/h). Ils sont onze élèves à se rendre au domicile d'un professeur qui est secondé par un collègue pour les cours de maths. Pour leur part, les enseignants trouvent cette pratique bénéfique dans la mesure où elle leur permet d'arrondir la fin du mois, tout comme elle aide les élèves à avoir un meilleur niveau scolaire. Mais ils estiment que ce n'est pas normal qu'il y ait autant de demandes, ces dernières années. “Avant la dernière décennie, sur une classe de trente-cinq élèves, il y en avait trois ou quatre qui en prenaient. Mais, aujourd'hui, tous ceux qui ont les moyens s'y intéressent. Ce n'est pas une solution. La réforme du système éducatif dans ses multiples facettes est plus que nécessaire”, déclare un professeur de physique. Dans une de ses assemblées générales, le CLA a lancé un appel aux enseignants pour qu'ils s'abstiennent de donner des cours particuliers. “Nous sommes en grève et nous ne voulons pas que des élèves soient favorisés par rapport à d'autres. Les professeurs, les élèves et leurs parents doivent se serrer les coudes pour faire aboutir les légitimes revendications. Ce sont l'avenir de nos enfants et celui de la nation qui sont en jeu”, avait estimé M. Osmane, président du CLA. Malgré cet appel, beaucoup d'enseignants continuent à dispenser des cours. Car, ils sont dans le besoin. “Mon collègue donne des cours à domicile. Je ne le condamne pas. Il a à sa charge 3 familles. Il le fait ou il quémande et je pèse mes mots”, nous confie un enseignant. Il y a aussi ceux qui travaillent dans des écoles privées. Ces dernières connaissent un développement assez particulier et attirent de plus en plus de monde, ces dernières années. Le coût d'une année scolaire est approximativement de 90 000 DA. Les classes ne sont pas chargées et les professeurs sont mieux rémunérés. Par ailleurs, les responsables de ces établissements s'arrangent avec des enseignants, qui ne travaillent pas forcément dans ces écoles, en mettant à leurs dispositions leurs locaux. L'élève paie 2 500 à 3 000 DA par mois pour l'enseignement de deux matières scientifiques, à raison de 6 à 7 heures par semaine. Les cours sont dispensés généralement le soir et les jours fériés. Il y a même des inspecteurs de l'éducation qui ont recours à ce genre de procédé. Plus de 15 ans de carrière dans l'enseignement secondaire et ils ne perçoivent que 15 000 DA comme salaire. Interrogé sur ces enseignants qui continuent à donner ces cours, M. Osmane déclare : “Il y a plus de 4 200 grévistes et tout le monde est dans le besoin. Les gens qui sont vraiment nécessiteux peuvent se rapprocher de nous, car nous disposons d'une caisse de solidarité, mais nous ne condamnons pas les enseignants qui les dispensent (les cours privés, ndlr).” C'est en tout cas l'avis de la majorité des professeurs. Mourad Belaïdi Les intimidations persistent Malgré les menaces et les intimidations quotidiennes perpétrées par la tutelle, les enseignants du secondaire sont décidés à poursuivre leur mouvement jusqu'à l'aboutissement de leurs revendications. Selon le collectif des enseignants grévistes du lycée Emir -Abelkader, Touggourt, wilaya de Ouargla, la levée des suspensions prononcée par le ministre de l'Education n'est toujours pas appliquée. Dans une déclaration remise à la rédaction, les professeurs grévistes déplorent les manipulations de l'académie et désapprouvent l'obstination du ministère de l'Education national à vouloir ignorer la grogne des enseignants et leurs revendications. Ils précisent que leur tutelle leur a adressé une correspondance qui fait appel à la reprise des cours d'une part, et les menace d'appliquer les sanctions les plus rigoureuses, d'autre part, à savoir les retenues sur salaire durant le mois sacré. “Nous sommes encore une fois victimes du chantage et du mépris de notre tutelle. Ce type de discours et de pratique ne fait qu'endurcir nos revendications”, déclarent les enseignants. Les collèges s'organisent Le Conseil national autonome des professeurs de l'enseignement moyen (Cnapem) déplore la situation socioprofessionnelle de l'enseignant d'une manière générale et des professeurs de collèges de manière particulière. À cet effet, le conseil lance un appel aux collectifs des CEM du territoire nationale pour venir en masse et rejoindre leur mouvement, afin de mettre un terme à cette situation “dramatique et humiliante” des professeurs du moyen. Notons enfin que plus d'une vingtaine de wilayas ont adhéré à ce mouvement. Un rassemblement est prévu pour le 10 novembre à Tizi-Ouzou afin de déterminer leurs actions. N. A. Education Quand la FNTE met son grain de zèle Son entrée dans le conflit ne fera que compliquer la situation, car la grève, à laquelle elle a appelée, est perçue comme une ruse de guerre de la part de l'UGTA et du gouvernement. C'est véritablement la bouteille à encre — sans jeu de mots — dans le secteur de l'éducation. La décision, pour le moins surprenante, de la FNTE de prendre en marche le train de la grève est de nature à en rajouter au conflit, qui, faut-il le souligner, est entretenu par le jusqu'au-boutisme des différents protagonistes. Demeurée en marge de la contestation qui agite les lycées depuis le 27 septembre, la Fédération nationale des travailleurs de l'éducation, que les grévistes qualifient de “syndicat maison”, veut ainsi se mettre à la recherche du temps perdu, en décrétant trois jours d'arrêt de travail qui toucheront également les cycles primaires et moyens, jusque-là épargnés par la crampe dans les lycées. Ainsi, la Fédération de Abdelkader Djebbar, qui espère redorer son blason terni par une mollesse à l'égard des autorités et regagner la confiance de sa base désabusée, pourrait apparaître aux yeux de l'opinion comme un syndicat craint et écouté par Benbouzid. Cette initiative sent la manœuvre entre l'UGTA et le gouvernement qui croient pouvoir en finir avec une contestation qui leur donne du fil à retordre, parce que, précisément, elle leur échappe. Lors de son passage jeudi devant les députés, le ministre de l'Education, l'air faussement grave, avait réaffirmé sa disponibilité au dialogue. Avec les syndicats agréés, précisait-il. Une manière de signifier aux responsables du CLA et du Cnapest qu'on persiste à leur refuser le statut d'interlocuteur. La base, qui a pourtant consacré leur légitimité, ne semble pas être un argument convaincant pour le ministre qui s'accroche à un légalisme qui prêterait à sourire, n'était le côté dramatique de cette grève. Pourtant, Meziane Mériane est on ne peut plus clair à ce propos. Lors de son point de presse, il a clairement affirmé que son organisation plaçait, par-dessus les revendications elles-mêmes, l'agrément qui permettrait à son organisation de se doter d'un cadre pérenne de revendication et de négociation. La méprise, de Benbouzid bien sûr, réside précisément à ce niveau. Car, doit-il savoir, on ne peut faire la paix qu'avec ceux qui font la “guerre” sur le terrain et pas avec les interlocuteurs qu'on désire. Justement, l'attitude de Benbouzid, qui reste ainsi au diapason que son Chef du gouvernement qui refusait “de céder au chantage”, ne laisse rien augurer de bon. Le conflit risque au contraire de s'exacerber et de s'éterniser. Même le président de la République, interpellé par les parents d'élèves, reste pour le moment de marbre. Peut-être préfère-t-il attendre de voir avant de devoir intervenir en dernier recours et recapitaliser ainsi en dividendes politiques le dénouement du conflit. En attendant, les élèves et leurs parents sont de plus en plus gagnés par l'inquiétude d'un semestre à blanc. Ceux qui ont les moyens n'hésitent pas à recourir à des professeurs, pour des cours à titre privé. C'est une parade, certes, mais elle n'est pas à la portée de la majorité des parents qui ne sont au mieux que des smicards. Mais ça, c'est un autre versant du problème. N. Sebti