Les mutations sociales et économiques, la partition du travail, l'urbanisation et la généralisation progressive de “la famille nucléaire” sont autant d'évolutions naturelles qui marquent, aujourd'hui, la société algérienne, mais plus particulièrement “les pratiques langagières au sein de l'espace familial”. C'est autour de cette problématique que se tient, depuis hier, au Crasc d'Oran, un colloque national sous le thème générique : “Les langues dans l'espace familial algérien”, initié par l'équipe de recherche “Pratiques intrafamiliales et transmission des langues dans un milieu plurilingue”. Devant une salle déserte, les chercheurs, issus de plusieurs universités, comme celles de Tizi Ouzou, Tlemcen, Oran, Béjaïa et Oum El-Bouaghi, ont présenté et débattu de travaux et enquêtes portant sur le plurilinguisme, les pratiques langagières dans l'espace familial, langue et réussite sociale. La première intervention de Dalila Morsly de l'université d'Angers (France) a été une présentation de travaux menés sur le plurilinguisme dans deux familles, l'une installée en France et l'autre en Algérie, avec, au centre, le rôle de la femme. En effet, traditionnellement, c'est la femme, la mère, a qui échoie le rôle de transmission des langues. “Les pratiques linguistiques avec l'alternance amazighe, arabe ‘darija' et le français ne sont plus seulement le fait des parents mais de plus en plus imposées par les enfants, comme nous avons pu le constater dans les familles que nous avons observées.” Et d'expliquer le rôle particulier et important de la femme dans ce contexte. “Elles peuvent jouer le rôle de conservatrice, de transmettrice qu'elles imposent parfois aux enfants, mais elles peuvent parfois être novatrices, privilégiant l'avenir des enfants selon les situations scolaires et pousser vers l'acquisition de langues efficaces.” Cette dernière souligne que cette évolution n'est pas propre à la famille et la société algériennes, des travaux similaires ayant été menés dans d'autres pays et on arrive au même constat. Mettant en relief l'évolution de la structure familiale, le statut des langues sur le marché national et international, l'universitaire constate, dans le cas de ses échantillons par exemple, la diminution de tamazight au profit de la nouvelle exigence des parents qui construisent une politique linguistique en fonction de l'avenir des enfants. De son côté, Cherif Sini, de l'université Mouloud-Mammeri, évoque également, dans la même logique, les données recueillies auprès de familles en Kabylie, en notant tout de même une différence, à savoir un partage des rôles entre l'homme et la femme. En effet, cet universitaire parle de la reproduction langagière des mères et grands-mères à travers les filles et petites-filles, d'un côté, et les pères et grands-pères envers les garçons. Ce qui fait dire à l'intervenant qu'il y a une différence sexuelle de l'exercice langagier, “du moins pour ce qui est de la structure sociale qui a servi d'échantillonnage”. Plus loin, l'orateur reconnaîtra une évolution dans ce partage des rôles, induit là aussi par les mutations de la société, la modernité, l'évolution de la cellule familiale, etc. Des questionnements ont encore été soulevés lors de cette première journée autour des problématiques de l'algériannité dans sa diversité, l'inefficacité de l'enseignement de l'arabe comme langue nationale parce que “l'école nie le patrimoine linguistique des enfants”, dira une intervenante. D. LOUKIL