Les islamistes qui ont tiré le jackpot du printemps arabe sans y avoir pris part font preuve, après l'euphorie des premières heures, d'inquiétudes. Certes ils ont gagné les élections, les premières du genre ouvertes dans le monde arabe, en Tunisie, au Maroc et en égypte, mais à l'épreuve du terrain c'est comme s'ils avaient pris conscience que le manteau du pouvoir était trop large pour leurs épaules. Modestie, réalisme ou tactique ? Allez savoir avec des islamistes, quelle que soit leur tendance, dont la roublardise politique est élevée au rang de démarche politique. D'abord, après Ennahda, le PJD marocain, les Frères musulmans d'égypte n'arrêtent pas de rassurer les Occidentaux. étrange qu'Israël ne soit plus leur carburant. Et puis la mise en garde du chef de la diplomatie française Alain Juppé prônant, après la question du retour de la polygamie en Libye, un dialogue avec les nouveaux pouvoirs islamistes, à condition qu'ils ne franchissent pas certaines “lignes rouges”, que sont le respect des élections, l'état de droit, les droits de l'homme et de la femme. On ne ferait pas mieux pour créditer la thèse du complot fomenté par la CIA, la DGSE, MI6 et autres officines occidentales pour faire boire la tasse islamiste aux populations arabes après des dictatures balayées, quitte à le répéter, sans l'apport de quelque nature que ce soit des islamistes ni “soft” ni les radicaux salafistes. Ils ont gagné par les urnes, c'est incontestable et cela renvoie pas seulement au poids de la religion dans les sociétés arabes. Les islamistes étaient déjà bien organisés avant les révolutions arabes, pour avoir bénéficié de sollicitudes durant les dictatures. Celles-ci avaient en effet disséminé l'idéologie islamiste avec le calcul machiavélique de lutter contre les vrais islamistes ! Les dictateurs Ben Ali, Moubarak, Kadhafi n'avaient pas agité le chiffon rouge des islamistes pour obtenir le soutien des pays occidentaux ? Pour eux ce fut in fine l'histoire de l'arroseur arrosé. Les choses sérieuses commencent Les islamistes ont raflé les urnes, nous dit-on, pour leur promesse d'éradiquer la corruption et les passe-droits. Des thèmes porteurs. Pour le reste, comment reconstruire leurs pays respectifs, très mal au point, qu'ils soient tunisiens, marocains ou égyptiens, les islamistes font preuve de modération pour ne pas dire de silence. Leurs leaders, revêtus de costumes de chef de gouvernement, ont certainement pris la mesure des défis. Comme ils ont constaté qu'ils ne pourront plus facilement entourlouper les citoyens qui leurs ont accordé leurs voix. Après la gaffe des autorités de la Libye post-Kadhafi sur le rétablissement de la polygamie, pour en quelque sorte le repos des guerriers, les islamistes ne recourent presque pas à la magie de la religion. Ennahda et son homologue marocain ne parlent que de respect d'acquis des femmes, de liberté de religion, de liberté de la presse et même de liberté de consommer l'alcool. Est-ce à dire que ces islamistes présentés comme soft par l'Occident et tous ceux qui n'ont pas vécu dans leur chair leur magistère sont vraiment convertis à la démocratie, à la liberté de conscience et aux droits de l'homme, de la femme ? Vont-ils abandonner leurs traditionnelles interprétations théologiques, littérales ou fondamentales ? Pour autant, ces nouveaux pouvoirs pas encore installés savent qu'ils doivent compter avec des opinions alertes et vigilantes. L'exemple tunisien En Tunisie, précurseur du printemps arabe, islamistes et démocrates se regardent déjà en chiens de faïence. Des milliers de manifestants pro-islamistes se sont rendus devant le siège de l'Assemblée constituante où campaient depuis quatre jours des centaines de personnes dont de nombreux sympathisants de gauche. Les deux camps se sont fait face, séparés tant bien que mal par des barrières et des policiers, mais des altercations se sont produites et les insultes fusaient de part et d'autre. “On a gagné ! La majorité est là”, scandaient les pro-islamistes, qui agitaient des drapeaux d'Ennahda, mais aussi des drapeaux noirs du Hizb Tahrir, le parti salafiste non légalisé en Tunisie. En face, les modernistes criaient “liberté, travail et dignité”. Certains d'entre eux, en particulier des chômeurs de la région minière de Gafsa effectuent un sit-in devant l'Assemblée depuis mercredi dernier. Plus d'un mois après les élections du 23 octobre, la Tunisie n'a toujours pas de gouvernement. Les députés de l'Assemblée constituante élue ont conclu vendredi un accord sur le partage et l'organisation future des pouvoirs, après plus d'une semaine de tractations laborieuses. Ennahda a été accusé, y compris par ses partenaires de gauche de vouloir s'arroger les pleins pouvoirs. L'adoption de l'accord prévue dans les prochains jours devrait permettre l'élection du président nominé et la désignation d'un exécutif. Au Maroc, le Parti justice et développement peine à former son gouvernement d'ouverture alors que son leader Abdellah Benkirane a été officiellement investi par Mohammed VI la semaine dernière. Le partage du gâteau n'est si facile que celui-ci le prétendait. En égypte, la victoire des islamistes, un doublé puisque derrière les Frères musulmans arrivent les salafistes, est de quelque côté que l'on regarde, un nouveau coup dur pour l'économie du pays. Les violences meurtrières des dernières semaines, au cœur de la campagne électorale, inquiètent les voyagistes, qui constataient déjà une baisse du tourisme depuis le soulèvement de l'hiver qui a conduit à l'éviction du dictateur Moubarak. Craintes en Egypte Les égyptiens qui vivent du tourisme craignent un nouveau coup dur pour le secteur, à l'amorce d'une haute saison qui s'annonçait des plus timides. Autre inquiétude : la victoire des islamistes aux élections législatives, victoire qui pourrait devenir un frein au redémarrage du tourisme en égypte. Les Frères musulmans tentent de rassurer mais ils devront gouverner avec les salafistes, arrivés en seconde position, qui eux prônent l'application intégrale de la charia avec la séparation stricte entre les sexes et, s'estimant les représentants du véritable islam, appellent à purifier cette religion millénaire de toute influence étrangère. Ils rejettent les quatre écoles traditionnelles du droit musulman, hanéfite, malékite, chaféite et hanbalite. L'idée d'un Parlement dominé par une alliance entre Frères musulmans et salafistes fait frémir les milieux modernistes et la communauté copte, les chrétiens d'égypte. Ici aussi la victoire des islamistes n'est pas tombée du ciel. Les confréries islamiques sont les groupes les mieux organisés en égypte. Les Frères musulmans et les salafistes sont est très populaire au sein des milieux défavorisés, notamment parce qu'ils ont multiplié les œuvres de bienfaisance. Leurs rivaux les ont accusés d'avoir distribué des dons de médicaments et de nourriture pour influencer les électeurs et d'avoir enfreint les règles électorales en exerçant des pressions à l'extérieur des bureaux de vote. Les Frères musulmans calment le jeu Les Frères musulmans ont rejeté ces accusations et ont demandé au contraire de respecter le résultat venu des urnes Les Frères musulmans piaffent d'impatience de prendre les rennes comme leurs homologues du Maghreb. Ils s'efforcent de ne pas déplaire aux militaires qui ont le pouvoir depuis l'éviction de Moubarak et de dissiper les inquiétudes de l'Occident, des modernistes, des coptes qui représentent 10% de la population et surtout des acteurs du printemps du Caire qui menacent de reprendre la révolution si les vainqueurs des premières élections post-Moubarak venaient à franchir la ligne rouge. Le futur Parlement, qui sera issu des élections, devra nommer une commission chargée de rédiger la future Constitution, une mission essentielle pour définir l'équilibre des pouvoirs après le renversement du président Hosni Moubarak en février et la prise du pouvoir par un Conseil militaire. “Les vainqueurs, individus et listes, doivent réaliser qu'un parti ou quelques partis seuls ne pourront pas redresser le pays et qu'il n'y a pas d'alternative à un consensus national basé sur les intérêts de l'Egypte”, a déclaré le numéro deux des Frères musulmans, Khairat Al-Chater. Le porte-parole d'Al-Nour, Mohamed Nour, a lui lancé un message d'apaisement aux coptes, qui se disent discriminés dans la société égyptienne majoritairement musulmane. “Toucher un cheveu de la tête d'un copte est contraire à notre programme”, a-t-il déclaré. En attendant les résultats électoraux et la décantation politique, l'armée veille au grain! Après la démission du gouvernement égyptien le 21 novembre suite à des affrontements meurtriers place Tahrir, au Caire, les autorités ont fait savoir qu'une dizaine de ministres du gouvernement démissionnaire allaient conserver leur portefeuille au sein du gouvernement de “salut national” qui a été annoncé en début de semaine par le nouveau premier ministre, Kamal el-Ganzouri, installé par l'armée. Mohamed Kamel Amr est ainsi maintenu à la tête de la diplomatie égyptienne, ainsi que les ministres du Pétrole, de l'Electricité, du Tourisme ou de la Coopération internationale. D. Bouatta