c'est le verdict des participants au dernier déjeuner-débat du think-tank de liberté“ Défendre l'Entreprise” consacré au classement de l'Algérie dans les rapports Doing Business. Le 1er décembre, le think-tank de liberté “Défendre l'Entreprise” a organisé sa septième rencontre publique de l'année 2011 consacrée aux résultats des derniers classements de l'Algérie dans le rapport Doing Business que la Banque mondiale publie chaque année. Au-delà de la constatation de la position peu enviable de notre pays dans ces classements, ce sont surtout les causes de la stagnation de notre économie qui ont concentré l'essentiel des débats. Débats qui ont permis de tirer un ensemble de leçons qui pourraient servir de pistes d'action prometteuses aux décideurs algériens pour mettre notre économie sur la voie de la croissance autoentretenue. Ci-dessous, le point de vue du comité exécutif du think-tank sur les résultats de la rencontre du 1er décembre. ll est devenu patent aujourd'hui que les blocages dont souffre l'économie algérienne sont dus à un défaut de gouvernance : absence de vision économique, rôle non défini de la place de l'Etat dans la sphère économique, une administration démotivée et forcée à naviguer à vue, participation quasi inexistante des autres parties prenantes (entreprises, société civile…) dans les choix de la politique économique. Une situation propice à la corruption qui a atteint des proportions record comme l'attestent les différents classements internationaux. Un phénomène qui est aggravé par l'absence de mécanismes de contrôle réellement effectifs de la dépense publique. Poursuivre dans cette voie conduira inéluctablement l'Algérie vers un désastre ! C'est l'avertissement formulé par tous les observateurs sérieux, préoccupés par la situation de l'Algérie. Que faire dans ces conditions ? La réponse n'est pas à chercher très loin. Il s'agit de doter le pays d'une véritable gouvernance ! Il faut corriger les tares dont souffre la gouvernance algérienne. Il faut donner une ambition économique à notre pays qui valorise ses atouts. En plus de sa mission de régulation, il faut délimiter de façon très précise le rôle de l'Etat dans la sphère économique. Il faut transformer l'administration en un corps d'agents professionnels motivés, focalisés sur la qualité des services qu'ils fournissent aux citoyens et aux entreprises. Il faut instituer des mécanismes d'association de la société civile et des entreprises aux grands choix politiques. Ces transformations ne sont pas faciles à décider et à mettre en œuvre. Mais elles ne sont pas impossibles, puisque plusieurs pays qui ont connu des blocages similaires ont réussi à les mettre en œuvre avec succès. À cet égard, deux pays peuvent inspirer ce qui peut être engagé en Algérie : la Malaisie et la Géorgie. Ces deux pays ont en effet réussi de façon exceptionnelle leurs réformes pour offrir à leur économie les conditions d'une croissance forte et soutenue. Que nous apprennent les expériences de ces deux pays ? Trois leçons essentielles paraissent pertinentes pour l'Algérie. La première leçon, c'est la volonté politique pour engager les réformes nécessaires et faire preuve de courage pour s'attaquer aux blocages institutionnels. En Malaisie, c'est l'ex-Premier ministre Mahathir qui a lancé à la fin des années 90 son plan “Vision 2020” qui a fixé les objectifs économiques du pays à long terme. En Géorgie, c'est le président Mikheil Saakashvili qui, après la Révolution des Roses en 2003, a engagé une réforme majeure de libéralisation qui a fait de son pays l'un des plus ouverts au monde à l'initiative privée. Dans chaque cas, la mise en œuvre de ces réformes a été accompagnée par des mesures courageuses destinées à faire sauter les résistances au changement. C'est la seconde leçon : faire preuve de courage. Par exemple, en Géorgie, on a dû licencier plus des trois quarts des policiers et près de 90% des douaniers pour lutter contre la corruption. En Malaisie, Najib Tun Razak, le nouveau Premier ministre, a créé un organe de coordination des réformes confié à un manager venu du privé et dont les décisions s'imposent à l'ensemble des autres ministères. Enfin, et c'est la troisième leçon, dans chacun de ces pays, on a mis en place des mécanismes qui permettent à la population de participer aussi bien au choix des politiques qui les concernent que dans l'évaluation des performances des services publics. Cette participation est en outre renforcée par une transparence la plus grande possible dans les programmes gouvernementaux qui font l'objet d'une large diffusion auprès de tous les publics. Deux articles illustratifs sur les réformes engagées par ces deux pays sont disponibles sur le blog du think-tank “Défendre l'Entreprise” (HYPERLINK "http://defendrelentreprise.typepad.com"http://defendrelentreprise.typepad.com). Si ces pays ont réussi des réformes aussi profondes, il n'y a aucune raison pour que l'Algérie ne fasse pas aussi bien, sinon mieux. Et cela d'autant plus que nous avons des atouts que ces pays n'ont pas : des ressources financières importantes qui permettent d'aller encore plus vite. Ce qu'il faut, c'est une volonté politique ferme d'engager des réformes de fond dans le mode de gouvernance qui a prévalu jusqu'ici. À cet égard, la réforme de l'administration est un passage obligé. Tant que l'Algérie n'aura pas mis en place une administration professionnalisée – c'est-à-dire compétente, motivée et comptable de ses actions – aucun progrès économique n'est possible. L'autre changement majeur qu'il est indispensable d'opérer, c'est la participation des acteurs du développement aux grands choix économiques. Le think-tank “Défendre l'Entreprise” a déjà eu l'occasion lors de la tripartite de mai dernier de recommander que cette instance soit transformée en un mécanisme permanent de consultation. Il est impossible en effet pour le gouvernement de continuer à faire cavalier seul dans la conduite de l'économie nationale. C'est d'abord une impossibilité technique, car il ne pourra jamais, seul, résoudre la complexité croissante de l'environnement des affaires. Mais c'est surtout une impossibilité méthodologique, car le développement économique est fondamentalement fondé sur la confiance entre les acteurs. Sans cette confiance, la nécessaire mobilisation de l'ensemble des acteurs autour des objectifs de l'ambition économique algérienne sera vaine. Il est donc indispensable que l'Etat algérien accepte de remettre en cause sa gouvernance. De façon pratique, il devra engager des réformes qui clarifieront de manière nette son rôle dans l'économie. Il devra abandonner son rôle d'intervention directe dans les marchés ; et, au contraire, renforcer considérablement son rôle de régulateur. On l'a vu partout, cette redéfinition du rôle de l'Etat est au cœur du processus de transition économique. C'est par là seulement que pourront réussir ce qu'on appelle les réformes dites de “deuxième génération” dans tous les pays en transition. Cette redéfinition suppose trois changements majeurs : Développer la capacité de l'Etat dans son rôle de régulateur. C'est-à-dire donner les moyens à l'Etat de garantir le respect des règles du marché et d'assurer l'indépendance et l'efficacité des institutions de l'économie. Il s'agira donc de renforcer la capacité des institutions de l'Etat à veiller à l'exécution des décisions de justice, à garantir l'égalité des opérateurs économiques devant la loi, à assurer qu'un environnement concurrentiel prévale sur les marchés ; et enfin à offrir des services publics de qualité et des institutions de marché fortes et fiables (douanes, administration des impôts, services de lutte contre l'informel, etc.). C'est là la seule réponse pour lutter efficacement contre la corruption. Souvent, le phénomène de corruption est présenté comme un phénomène totalement indépendant du cadre institutionnel, alors qu'en réalité il est le produit d'un comportement parfaitement institutionnel, plus exactement le résultat des déviations et dysfonctionnements organisationnels. Ainsi, c'est le manque de transparence dans la gestion publique, les pouvoirs discrétionnaires des fonctionnaires, la complexité des procédures qui sont les causes principales de la corruption dont souffrent l'entrepreneur et le citoyen… et donc le pays. Réduire l'intervention de l'Etat comme opérateur économique. Le verdict est aujourd'hui incontestable : les seuls succès économiques dans les pays en transition sont dus à la libération de l'initiative privée. Vouloir à tout prix préserver et développer un secteur public fort est un combat perdu d'avance. Là aussi, l'Etat algérien devra remettre en question son approche de l'économie en ouvrant le plus possible le champ économique à l'initiative privée. Cela suppose le démantèlement des procédures contraignantes d'agrément des investissements, réduire et simplifier les procédures qui freinent considérablement le dynamisme des entreprises. À cet égard, la fiscalité et la législation du travail sont deux domaines où des progrès importants devront être faits rapidement pour donner des messages forts aux entreprises. Comme on l'a observé en Géorgie par exemple, la simplification du régime fiscal, couplée à une baisse des taux, a permis de stimuler la création d'entreprises, d'accroître les recettes fiscales et de diminuer considérablement le niveau de l'économie informelle. Ainsi, à part certains secteurs considérés comme stratégiques et les services publics, on devra non seulement permettre mais encourager l'initiative privée à investir. Définir une stratégie globale et cohérente d'amélioration du climat des affaires. Là aussi, comme les exemples réussis nous l'apprennent, il est nécessaire de mettre en place une institution indépendante des administrations – relevant du chef du gouvernement ou du président de la République –, responsable de la simplification administrative pour les entreprises, et en charge de s'assurer de la cohérence des nouvelles dispositions réglementaires et de leur justification. La première mission d'une telle institution serait de passer en revue l'ensemble du dispositif réglementaire et de proposer l'élimination de toutes les réglementations qui ne sont pas justifiées par les administrations concernées dans un délai déterminé. Pour que cette initiative réussisse, il est indispensable que cette institution dispose d'un statut élevé, que son management soit confié à des compétences avérées et qu'elle associe étroitement les entreprises dans son travail. Relancer l'économie algérienne vers une croissance autoentretenue est un objectif à notre portée. Nous en avons les moyens pour l'engager immédiatement. Prendre du retard dans les réformes indispensables rendra les choses plus complexes, creusera davantage les nombreux déficits dont souffre l'Algérie et obérera gravement son avenir. (*) Le Comité exécutif du think-tank : Professeurs Taïeb Hafsi, M. C. Belmihoub, Abdelmadjid Bouzidi, Abdelhak Lamiri et le consultant Smaïl Seghir